
Cet article est extrait du n° 188 de la revue DADA.
Quelle scène étrange ! La ville semble livrée aux enfants. Dans cette peinture pleine de vie, on retrouve tout l’art de Brueghel. Allez, entrez dans la ronde…
Ça grouille !
Le village s’est transformé en cour de récréation. Dans la grand-rue, les bâtiments, la courette ou le pré, on trouve des enfants partout. Peindre la vie paysanne demeure l’un des sujets favoris de Brueghel. Pour rendre la scène humaine et vivante, il multiplie les petits personnages, qui grouillent et envahissent l’espace. Oppressant ? Non, car l’artiste a réussi à composer un tableau très équilibré. La ligne d’horizon, placée très haut, nous permet de dominer la scène. Et la grand-rue se prolonge en une longue perspective jusqu’à la silhouette d’une lointaine cathédrale. On respire un peu ! D’autant qu’à gauche, l’espace s’ouvre sur un paysage paisible, qui tranche avec l’agitation des personnages dans la rue principale. Notre regard navigue d’un groupe d’enfants à l’autre, sans qu’aucun n’attire plus l’attention qu’un autre. Ce tableau résume parfaitement l’art de Brueghel : un art riche en détails, mais dans un espacé bien organisé.

Pieter Brueghel l’Ancien, Jeux d’enfants, 1560, huile sur chêne, 118 × 161 cm. Vienne, Kunsthistorisches Museum.
© Photo : Kunsthistorisches Museum, Vienne.
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Où est Charlie ?
Les œuvres de Brueghel racontent plusieurs petites histoires dans une grande. Dans Jeux d’enfants, le thème est… les jeux d’enfants ! Le peintre s’en donne à cœur joie : plus de 250 gamins s’adonnent à des occupations toutes différentes. On a dénombré 91 activités. Bien sûr, certaines ont disparu, comme ce groupe de garçons qui joue à « Combien de cornes de bouc ? », en bas à droite de l’image. Mais bien d’autres sont encore pratiquées de nos jours. Saurez-vous retrouver les fillettes qui jouent aux osselets et les lanceurs de toupie ? Les jeunes joueurs de saute-mouton et le petit garçon aux grandes échasses ? Mais attention, si les enfants jouent, ils ne semblent pas vraiment s’amuser. Qui est Pierre, Margoton ou Jean ? Rien ne les distingue les uns des autres, et les visages aux yeux ronds arborent des expressions figées, sans joie. Brueghel s’applique à décrire les bambins et leurs jeux d’une manière encyclopédique. Une façon de faire qu’il répètera souvent dans son œuvre.
Tu seras un homme, mon fils
Un seul adulte est présent dans le tableau : passant la tête par la porte d’un bâtiment de la grand-rue, une femme jette un seau d’eau sur deux garnements en train de se battre. Mais pourquoi ces enfants sont-ils seuls ? La réponse réside peut-être dans ce marmot qui, dans la maison à gauche du tableau, se déguise avec un masque de carnaval : tout cela n’est peut-être qu’une immense mascarade. En observant de près les visages, on découvre que les enfants ressemblent à des adultes en miniature. Certains jouent d’ailleurs à être grands. Voyez cette procession qui longe la barrière : ce sont des petits mariés ! Et là, près des fillettes aux osselets, un groupe mime un baptême. Brueghel aime dénoncer les travers de la société dans laquelle il vit. En montrant les jeux des enfants, il se moque aussi du monde des adultes qu’ils deviendront bientôt.