Cet article est extrait du no 210 de la revue DADA.
Ad Parnassum : un titre bien mystérieux pour une œuvre qui l’est tout autant. S’agit-il d’une pyramide, d’un toit ou d’une montagne ? À moins qu’elle ne soit la synthèse de tout cela… et un peu plus encore.
Les muses s’amusent
Paul Klee n’est pas seulement un peintre, c’est un artiste complet. Pour ce fils de mélomanes, impossible de se cantonner à une seule discipline. La musique, les arts du spectacle, tout l’intéresse et a un impact sur sa créativité. Avec Ad Parnassum, il semble le crier au monde entier : le titre est une référence au mont Parnasse. Situé près de Delphes, il abrite Apollon et les muses, divinités grecques qui inspirent les artistes. En latin, « ad » signifie « vers ». Klee nous indiquerait-il le chemin vers les sommets de la créativité ? À moins qu’il n’y soit déjà parvenu…
Pour cela, il combine ici ses deux violons d’Ingres : la musique et les arts visuels. D’abord, le titre du tableau évoque un livre sur la musique, Gradus ad Parnassum. Son sujet ? La polyphonie. Or, voyez comme ces petits carrés colorés s’accumulent et se juxtaposent pour former un ensemble harmonieux. Maintenant, imaginez que ce damier est un groupe de voix. Elles sont toutes différentes mais le résultat final est mélodieux. C’est du rythme au carré, comme dans de nombreuses toiles de Klee ! Ces formes pointues, là au-dessus du rond orange et dans le prolongement de l’arche ? Certains y voient de la notation musicale : la marque d’un crescendo et d’un decrescendo. Une chose est sûre : Ad Parnassum, à l’instar de nombreuses œuvres de Klee, est un hymne à la musique et aux arts visuels.
© Photo : Kunstmuseum Bern, Dauerleihgabe des Vereins der Freunde des Kunstmuseums Bern.
Ma vie, mon œuvre
Avec ces formes géométriques et cette multitude de carrés chatoyants, Ad Parnassum paraît très abstrait. Pourtant, comme souvent, Klee met beaucoup de lui dans ses peintures. Aussi, cette silhouette pointue peut être le mont Parnasse… ou une pyramide. Trois ans avant de réaliser cette œuvre, l’une des plus grandes de toute sa carrière, Klee se rend en Égypte. Là-bas, les tombes des pharaons lui font forte impression. Et si cette mosaïque colorée n’était qu’un ensemble de briques, comme celles qui forment les pyramides égyptiennes ? À droite, on dirait bien un soleil. Toutefois, les carrés occupent la totalité de la toile. Que regardons-nous alors ? Un paysage égyptien ? Des éléments d’architecture ?
À moins que Ad Parnassum ne soit un clin d’œil à ses années au Bauhaus… Une école avant-gardiste où l'artiste Vassily Kandinsky a enseigné. En effet, ce jeu de carrés, triangles et cercles évoque les cours de Klee sur la forme et les exercices proposés aux élèves. Selon lui, ce n’est pas la forme définitive d’une œuvre qui est importante, mais le processus qui y mène. Le peintre aurait-il fait de Ad Parnassum un miroir de son inspiration ? Laissez-vous submerger par les tonalités, les nuances et les accords. Et entrez dans la tête de Klee…
Clémence Simon