
Cet article est extrait du n° 198 de la revue DADA.
Un seul nu féminin peint par Vélasquez est parvenu jusqu’à nous. Et pourtant, La Toilette de Vénus est emblématique de toute son œuvre ! Voici l’une des plus belles femmes, peinte par l’un des plus grands artistes...
Beauté unique
En matière de sujet, Vélasquez est capable du grand écart. Au milieu de tous ses portraits de princes ou de gens du peuple, La Toilette de Vénus est un exemple rarissime dans son œuvre. Vénus, la déesse de l’Amour et de la Beauté dans la mythologie romaine, est un sujet très classique sur lequel beaucoup d’artistes se sont penchés. Pourtant, l’Espagne catholique dans laquelle vit Vélasquez est très stricte, et ne regarde pas ce sujet d’un bon œil. Une femme nue, une divinité païenne, quel scandale ! Si l’œuvre n’a pas été détruite par l’Église, c’est parce qu’en 1651, elle orne les appartements d’un grand de la cour d’Espagne. Puisque la Vénus est accrochée dans un lieu privé, elle ne peut être censurée. Sauvée !

Diego Vélasquez, La Toilette de Vénus, 1647-1651, huile sur toile, 122,5 × 177 cm. Londres, The National Gallery.
© Photo : The National Gallery, Londres, Dist. RMN-Grand Palais / National Gallery Photographic Department..
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Drôle de portrait
Le sujet reste traditionnel, pourtant Vélasquez en donne une version très moderne. Chez Titien et Rubens, les grands maîtres qu’il a étudiés, il reprend et combine deux de leurs sujets : Vénus allongée, et s’admirant dans un miroir. Ici, la déesse nous tourne le dos : une innovation qui bouscule les traditions, comme seuls les grands peintres savent le faire. La toile est à échelle humaine et, située dans le bas du tableau, la déesse est au plus près du spectateur. Comme souvent chez Vélasquez, la figure se trouve dans un espace clos et dépouillé. Quelle émotion de surprendre la déesse dans son intimité ! La voilà tout de suite plus accessible, plus humaine. Pénétrer dans l’intimité des grands, c’est un peu la spécialité de notre peintre. Seulement ici, ni roi, ni princesses, ni courtisans. C’est un tête-à-tête avec une déesse. Dans un coin, Cupidon lui tient un miroir. On peut y découvrir le visage de Vénus. Un portrait dans le tableau en somme. Mais n’est-elle pas en train de nous observer elle aussi ?
Vénus ibérique
Le visage est rapidement brossé : tout l’effort de Vélasquez se concentre sur les courbes de la femme. Le sujet mythologique est réduit à son minimum. À quelle époque sommes-nous ? Difficile à dire. Hormis les draps et le rideau, il n’y a pas d’élément de décor. Cette scène pourrait aussi bien se passer dans l’Antiquité qu’au XVIIe siècle. D’ailleurs, ce miroir semble plutôt moderne, comme la coiffure de Vénus, qui ici est brune, alors que la déesse est traditionnellement peinte en blonde. Sans Cupidon, comment savoir si nous admirons Vénus ou simplement une belle Espagnole ? D’autant que Vélasquez peint ce corps avec tendresse et délicatesse. Il utilise des blancs, des roses et des gris pour créer une peau lumineuse comme une perle. En contrastant avec le drap sombre sur lequel Vénus est allongée, son corps attire l’œil. Peinte à la fin de sa vie, cette toile résume aussi bien les recherches de Vélasquez sur la couleur et la lumière, que l’audace dont il a fait preuve tout au long de sa carrière. De quoi impressionner Goya, Manet ou Picasso des siècles plus tard.