Gérald Bronner : notre crédulité face aux fake news
Colloque « Les démocraties à l’épreuve des infox »
Le phénomène des fake news interroge un élément important de nos personnalités, à savoir notre crédulité, qui nous pousse à croire des informations qui ne devraient peut-être pas être crues. Éléments d’explications avec Gérald Bronner.
Qu’entendez-vous par crédulité ?
« Nous avons tendance à endosser des propositions intellectuelles, des idées qui ne sont pas toujours sélectionnées de façon optimale, c’est-à-dire accepter des idées de mon désir ou des pentes naturelles de mon esprit, de mon intuition. »
Le phénomène des fake news indique-t-il que nous sommes plus crédules qu’avant ?
« Non, la crédulité est un fait anthropologique, une négociation intellectuelle avec le monde, la connaissance en est une autre, et selon les conditions sociales, l’une ou l’autre s’exprime plus facilement. Tout dépend de la façon dont les idées sont sélectionnées collectivement, socialement. Ces conditions sociales facilitent l’expression de la crédulité comme la disponibilité massive de l’information.
En 2005, il y a avait 150 exabits de données disponibles, en 2010 il y en avait 8 fois plus ! Cette disponibilité de l’information nous permet aussi d’aller chercher systématiquement l’information qui va dans le sens de nos représentations. Elle savonne donc la pente de la crédulité. »
Finalement, les fake news, rien de nouveau ?
Ce dont on parle aujourd’hui n’est pas réellement neuf, il existe une série de textes mythologiques, religieux qui prétendent décrire le monde depuis longtemps. Ce n’est donc pas notre époque qui a inventé l’infox, les rumeurs, les légendes urbaines, religions, superstitions et théories magiques.
Le point de vue de la science peut être concurrencé par celui de la pseudoscience, alors qu’auparavant, les mondes sociaux étaient relativement séparés. Le marché de l’information est massivement dérégulé, et ce qui l’emporte souvent, c’est la motivation des acteurs qui rendent leur info plus visible que les autres, et souvent cette motivation n’est pas totalement décorrélée de la crédulité, et de façon générale, de motivations idéologiques. »
Pouvons-nous essayer d’être incrédules ?
« Oui, notre cerveau est un des outils les plus complexes de l’univers, 1 million de milliards de connexions dans notre boite crânienne. On n’en use pas tous de la même manière, mais il y a des ressources insoupçonnées dans le cerveau humain, comme la capacité d’arbitrer, de développer la pensée critique, la pensée méthodique. »
Par quel moyen peut-on se prémunir de notre crédulité ?
« Qu’ai-je envie de croire ? Vers quoi me porte mon désir ? Déjà, cette prise de conscience du désir qui peut contaminer le croire est un élément important. Il y a aussi la consultation d’argumentaires qui contredisent mon désir, qui vont dans le sens opposé de ce que je crois. Une info est-elle prodigieuse, ou bien peut-elle être expliquée par des probabilités ? Tous ces éléments demandent une éducation à l’existence des biais cognitifs, à l’existence d’erreurs de raisonnement et c’est sur le temps long de l’éducation qu’il faut proposer ça aux individus qui sont en train de former leur esprit pour qu’ils puissent faire leur déclaration d’indépendance mentale. »
Nous posons-nous les bonnes questions sur ces phénomènes ?
« Dans ce genre de domaines où beaucoup de scientifiques sont impliqués, l’intelligence collective va fonctionner. On sait que les algorithmes sont impliqués, l’ordre d’apparition et donc la régulation du marché de l’information est impliquée.
Les médias conventionnels doivent se poser des questions, de ce point de vue je suis relativement optimiste. Mon pessimisme vient du fait que le problème est un problème civilisationnel, titanesque, multivariable. Ce que je craindrais le plus, c’est que nous soyons condamnés définitivement à la crédulité en fonction de notre nature même. »
Cet entretien avec Gérald Bronner, sociologue et membre de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie des technologies, a été réalisé le 20 mars 2019 dans le cadre du colloque « Les démocraties à l’épreuve des infox » organisé par l’INA et la BNF. Il a été initialement publié dans La Revue des médias (INA), le webmagazine qui analyse les mutations des médias.
Producteur : INA
Année de copyright : 2019
Publié le 19/10/21
Modifié le 19/10/21