Charles Dickens est incontestablement le maître du feuilleton, un art littéraire né de l’essor de la presse tout au long des XVIIIe et XIXe siècles, au Royaume-Uni et en France particulièrement.
Lorsque nait Charles Dickens en 1812, le Times a déjà vingt-sept ans d’existence et l’Observer paraît chaque dimanche depuis 1791 (il est encore dans les kiosques de nos jours). Les progrès de l’industrie papetière, de l’imprimerie et de la distribution, alliés au net recul de l’analphabétisme, engendrent un lectorat toujours en expansion : la concurrence entre périodiques est rude, il faut vendre ! Les éditeurs ont besoin de matière première. Le génie de Dickens va leur en donner.
En s’inspirant d’éléments autobiographiques, Dickens (sous le pseudonyme de Boz) publie mensuellement, entre 1837 et 1839, les vingt-sept chapitres d’Oliver Twist. C’est l’histoire d’un jeune orphelin mis en nourrice dans des conditions précaires, puis au travail à l’âge de neuf ans sous la coupe d’un bedeau tortionnaire. Battu, affamé, il fugue vers Londres et va de mauvaises fortunes en mauvaises rencontres car le voilà bientôt recueilli par un gang de pickpockets. Il aura bien du mal à s’en sortir malgré l’aide de jeunes femmes dévouées mais de santé fragile. Tout finira par s’arranger… de façon fort peu vraisemblable il faut l’avouer. Ce feuilleton est un vibrant plaidoyer contre l’enfance malheureuse, même si Dickens n’échappe pas à certains préjugés de son temps avec la figure du juif Moses Fagin, en chef de bande sans foi ni loi. Le public est conquis par ces personnages qu’il peut croiser dans la rue et les illustrations expressives de Georges Cruikshank (célèbre illustrateur britannique de l’époque) popularisent les archétypes. Cette dénonciation du misérable statut de l’enfant dans l’Angleterre victorienne devient la source d’inspiration majeure de Dickens et on la retrouve dans le feuilleton suivant The life and adventures of Nicolas Nickleby.
Pour The Old Curiosity Shop, Dickens exploite son deuxième thème de prédilection : la jeune femme innocente et fragile en proie à la concupiscence d’un vieillard riche et libidineux - thème que l’on retrouvera dans The life and adventures of Martin Chuzzlewit. En 1849, Dickens revient à ses souvenirs et livre son feuilleton peut-être le plus connu, David Copperfield. Ecrite à la première personne, c’est l’histoire, une fois encore, d’un orphelin (de père), en butte aux persécutions d’un cruel beau-père puis de divers représentants de la société civile. Suivant la trame de sa propre vie, Dickens prête à David Copperfield les épisodes de pénibles travaux ouvriers puis la réussite grâce à l’instruction et la littérature. On se perd un peu dans les méandres d’intrigues multiples imbriquées les unes dans les autres, mais le style est souvent drôle et burlesque et l’art du feuilletoniste est à son apogée avec des suspens bien menés correspondants au découpage mensuel. Après leur parution en périodique, tous les feuilletons de Charles Dickens sont publiés sous forme d’épais romans avec parfois de légères variantes par rapport à l’original.