À supposer qu’on accepte de faire de Rousseau un rationaliste, faut-il oublier qu’il inventa le sentiment de la nature, qui paraît bien, quant à lui, dépourvu de toute rationalité ?
L’ermitage de Montmorency (Val d’Oise), où Rousseau s’installe grâce à Mme d’Épinay en 1756.
Gravure sur bois d’après Karl Girardet, illustration des Confessions, Ed. Barbier 1846.
Rousseau a sinon inventé, du moins porté à un très haut degré d’éloquence, l’amour de la nature et la détestation de la grande ville. Mais, la nature désigne alors la campagne et la ruralité. Marie-Antoinette jouait à la bergère au Trianon ; de même, les idylles campagnardes, les fameux paysans du Valais, et l’utopie patriarcale de La Nouvelle Héloïse relèvent-ils d’une « nature » fortement conventionnelle, élaborée à la fois par la peinture et la littérature.
L’amour de la campagne ne signifie pas seulement l’hostilité à l’artificialité des villes, il signifie aussi le goût du voyage à pied et celui de la « promenade ». Songeons aux Confessions, ou aux Rêveries du promeneur solitaire dont les chapitres s’appellent des « Promenades ». Rousseau inaugure assurément un genre littéraire (qui se poursuit jusqu’à Aragon et son Piéton de Paris) ; les promenades à herboriser feront des émules, pas seulement en littérature (pensons à George Sand) mais aussi chez les adeptes d’une éducation supposée rousseauiste (pensons à Proust et au personnage de la grand mère). La recherche de l’authenticité et de la méditation que permet toute solitaire déambulation relève non d’une effusion mystique, mais d’une pratique proprement philosophique.