Un style Cocteau ?
Cocteau, l’artiste au talent foisonnant, possède une réelle aptitude au dessin. Toute sa vie, il croque sur le vif les personnes qu’il côtoie. Son acuité du regard et la pertinence de son trait font que l’on reconnaît au premier coup d’œil, entre portait et caricature, Mistinguett, Proust, Anna de Noailles, Maurice Rostand, Picasso… Avec la même promptitude, il met ces personnages en scène dans leur contexte ou décor, comme Stravinski ou Auric jouant au piano. A partir de 1935, il utilise également le dessin pour évoquer des souvenirs d’enfance (Ma mère s’habille pour aller voir l’Enigme, Joséphine me conduit au cirque) ; en 1943, il fera le portrait de sa mère sur son lit de mort.
Dans l’esprit des calligrammes d’Apollinaire, Cocteau s’essaye aux textes éclatés de façon stylisée sur toute une page, comme les poèmes du Cap de Bonne-Espérance ; le rendu graphique reflète parfois la dureté de la guerre (manuscrit de la Troisième Ode). Cocteau utilise surtout l’encre de Chine ou de temps à autre l’aquarelle noire, le graphite rehaussé au crayon de couleur pastel. Ses dessins sont les plus souvent contrecollés sur papier. Il pratique aussi le collage de papiers ou d’imprimés.
Illustrations et dessins
- Dans les revues Le Mot ou Le Petit Journal, Cocteau illustre ses textes ou ceux des autres, en prenant le pseudonyme tout d’abord de Japh puis de Jim. On retrouve, dans Le Mot, les terribles personnages du Potomak et les caricatures cubistes de "Boches".
- Cocteau trace de nombreux dessins en marge de ses livrets, manuscrits, programmes, notes personnelles. Ou il insère de véritables illustrations, appuyant ses écrits et romans, comme dans Les Chevaliers de la Table ronde, Le Livre Blanc, Les Enfants Terribles (60 dessins), Les Mariés de la Tour Eiffel, La Machine infernale …
- Cocteau a aussi produit un grand nombre de dessins érotiques, du pudique « elles dormaient enlacées comme des initiales » dans Le Grand Ecart au beaucoup plus cru Ad Usum Delphini (travestis, combinaisons de femmes et d’hommes, sexes gigantesques).
- On peut également citer son immense dessin, au fusain et au sang sur un drap de lit, La peur donne des ailes au courage, en soutien aux réfugiés espagnols.
Portraits et autoportraits
Outre les caricatures de personnages, Cocteau a effectué un grand nombre de portraits, dont des autoportraits, parfois de façon obsessionnelle.
Portraits
En 1935, Cocteau livre au Figaro des textes illustrés de dessins, qui sont publiés tous les samedis et intitulés Portraits-souvenirs. C’est l’occasion pour Cocteau d'évoquer le Paris littéraire, artistique et mondain d'avant 1914 qu’il a fréquenté, tout en agrémentant ces textes de portraits de personnages célèbres de cette époque. Ces Portraits-souvenirs seront ensuite rassemblés en un recueil. Ces portraits-souvenirs sont des « souvenirs en surface ». Il se propose de « jouer au jeu de massacre à l’envers », en visant une personnalité, une figure qui revienne à la surface de sa mémoire, qui « surgisse de l’ombre apportant, accrochés autour d’elle, certains lieux, certaines circonstances ».
Cocteau affectionne de dessiner ses amis dormant, sans doute inspiré par cette sensation d'abandon. Outre le délicat dessin intime de Raymond Radiguet endormi, il a effectué, en 1928, 25 dessins d’un dormeur, représentant Jean Desbordes endormi dans des positions variées.
« Un dormeur est le modèle des modèles. On risque en le copiant avec patience de copier l’élément où il baigne et de portraiturer, sans préméditation, l’atmosphère du songe. », Cocteau dans sa préface à Vingt-cinq dessins d’un dormeur.
C’est aussi une façon de révéler volontairement au public son homosexualité. Ces dessins sont exposés, à la galerie des Quatre-Chemins à Paris, en même temps que des illustrations pour Œdipe-roi.
Autoportraits
Pendant l’été qui a suivi la mort de Radiguet, le 12 décembre 1923, Cocteau se réfugie à Villefranche-sur-Mer pour essayer de faire son deuil. Devant la glace de sa chambre à l’hôtel, il dessine inlassablement son propre visage, tout en pensant au disparu. Cette série de 30 autoportraits dont certains « sans visage », complétés par des écrits, a été rassemblée et reproduite par phototypie (procédé d'impression à l'encre grasse permettant un rendu continu non tramé), et intitulée LeMystère de Jean l’Oiseleur. L’ouvrage paraît chez Champion en 1925, à 130 exemplaires.
Lors de cette période difficile, Cocteau s’adonne à l'opium, source d’inspirations : « démultiplication de la personnalité sous l’effet de l’opium » dans Rêverie d’opium. Mais des dessins à l’encre de chine traduisent aussi la douleur « j’ai mal », « Max, Pierre, priez pour moi » dans Maison de santé.
Fresques et vitraux
Dans les dernières années de sa vie, Cocteau passe de l’encre de chine et des petits formats à la fresque, la gouache, le dessin au feutre et au pastel. Il développe ainsi une œuvre graphique d’un autre genre. Il se met à décorer maison, chapelles, salle des mariages, théâtre… et ce sans se faire rémunérer. Il pliera aussi ses dons à un nouveau support, la céramique. Entre 1957 et 1963, il crée plus de 300 céramiques, dans l’atelier des Madeline, à Villefranche-sur-Mer.
Santo Sospir, la villa tatouée
En 1950, Jean Cocteau passe des vacances dans la villa de son amie Francine Weisweiller à Saint-Jean-Cap-Ferrat. Il lui demande s'il peut faire une grande décoration murale au dessus de la cheminée puis, de fil en aiguille, il décore tous les murs de la villa. Cocteau a d'abord utilisé le fusain et ensuite il a exécuté ses fresques « a tempera ». Un ouvrier italien lui préparait les poudres qu'il délayait dans du lait cru. Les fresques, pour la plupart inspirées de la mythologie grecque, habillent toujours les murs de la villa.La chapelle Saint-Pierre à Villefranche-sur-Mer
En souvenir de sa jeunesse, Cocteau souhaite offrir une chapelle aux pêcheurs de Villefranche-sur-Mer. Il décore les murs de la nef de la chapelle Saint-Pierre à la fois dans un style figuratif évoquant des épisodes de la vie du Christ et de Saint-Pierre et un style purement décoratif fait de géométries peintes sur la coupe des arches, après avoir projeté ses dessins à l'aide d'une lanterne magique de manière à illustrer « les mailles d'un filet de pêche ».La salle des mariages de l’hôtel de ville de Menton
Francis Palmero, maire de Menton, demande au poète de décorer la salle de mariages de sa mairie. Cocteau s'inspire de volutes des boucliers, tambours et masques africains pour y figurer un portrait d’amoureux : elle coiffée de la capeline mentonnaise et lui du bonnet de pêcheur méditerranéen, sur fond bleu et blanc aux couleurs du drapeau de la ville et des éclats jaunes et orangés. Cependant, sur une des fresques, Cocteau rappelle qu’il existe des histoires d’amour malheureuses, en évoquant une fois de plus le mythe d’Orphée.La chapelle Sainte-Blaise des simples de Milly-la-Forêt
Cocteau dessine des cartons destinés à la réalisation de vitraux, dont ceux de l’église Saint-Maximin de Metz et de la chapelle Sainte-Blaise des Simples de Milly-la-Forêt, où il repose. Il a également dessiné des fresques sur les murs de cette chapelle datant de 1136, illustrant les plantes médicinales (des simples) cultivées à proximité. De 1947 jusqu’à sa mort en 1963, Jean Cocteau vécut à Milly-la-Forêt dans une maison-refuge, achetée avec Jean Marais qui ne cessera jamais d'honorer la mémoire de son ami jusqu'à sa propre mort en 1998. Ensuite, Pierre Bergé acquière la maison qu'il rénove, ainsi que son jardin, maintenant ouverts au public.





