Près de 100 000 articles ont été publiés dans la presse française sur l’affaire Dreyfus entre l’arrestation du capitaine Alfred Dreyfus en 1894 et sa réhabilitation en 1906. La presse de la Belle Epoque est alors en pleine expansion. La demande sociale liée à l’alphabétisation généralisée des Français, la demande politique issue du suffrage universel, l’offre culturelle de la presse avec les feuilletons, les faits divers, les illustrations sans cesse plus nombreuses, enfin les capacités économiques et techniques, avec les rotatives et le transport par chemin de fer, tout se conjugue pour que la presse connaisse unvif essor à la fin du XIXe siècle.
L'essor de la presse
Cet essor se confirme après le vote de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : 250 à 300 quotidiens tirent ensemble à 5 millions d’exemplaires à la fin des années 1890 et à 9 millions d’exemplaires dans les années 1910. Quatre grands quotidiens parisiens à diffusion nationale, Le Petit Journal, Le Petit Parisien, Le Journal et Le Matin, forment la presse populaire à gros tirages (4 millions d’exemplaires) et faible prix de vente (5 centimes). La presse destinée aux élites (Le Figaro, Le Temps, Le Gaulois) a un tirage plus confidentiel mais une grande influence. Une cinquantaine de quotidiens d’opinion sont diffusés à Paris. En province, la presse d’opinion compte près de 200 titres, tandis que des quotidiens d’information (La Petite Gironde, Le Grand Echo du Nord, La Dépêche, Le Petit Marseillais, Le Progrès, etc.) commencent à devenir des régionaux.
Deux affaires Dreyfus
Il existe deux affaires Dreyfus, celle purement judiciaire qui, ouverte en 1894 par l’arrestation du capitaine, ne s’achève qu’en 1906 avec sa réhabilitation, et le drame politique, beaucoup plus bref, de la dénonciation d’Esterhazy par Mathieu Dreyfus jusqu’à la grâce présidentielle, soit d’octobre 1897 à septembre 1899. Durant deux ans, les passions se déchaînent et la presse les amplifie. Si quelques journaux tentent de rester neutres et d’informer leurs lecteurs, la plupart sepositionnent pour ou contre Dreyfus, mais des évolutions d’un camp vers l’autre se produisent également.
La presse s’était engagée dans les premières grandes batailles d’opinion autour du général Boulanger (1887-1889) et du scandale de Panama (1892-1893). C’est alors que cristallise un national populisme mettant en cause la démocratie et ses liens supposés avec la finance et les juifs. Edouard Drumont fonde en 1892 La Libre Parole, qui a comme sous-titre : « La France aux Français », pour en faire l’expression de ce courant.
Division de la presse
Le dessin de Caran d’Ache « un dîner en famille » paru dans Le Figaro du 14 février 1898 illustre la division des Français. Mais la violence des attaques des caricaturistes, notamment à l’égard de Zola ou des juifs, prend souvent des aspects orduriers. Les dessins qui fleurissent dans La Libre Parole ou Psst… !, l’hebdomadaire antidreyfusard fondé par Caran d’Ache et Forain en février 1898 pour contrer Le Sifflet d’Ibels atteignent parfois des sommets d’ignominie. Globalement, le clivage entre la gauche et la droite s’établit au cours de ce « moment-Dreyfus ». A l’exception notable du Figaro, les journaux conservateurs sont pour l’armée contre Dreyfus, tandis que les journaux républicains sont pour la révision ou dreyfusards. Le ralliement de Georges Clemenceau ou de Jean Jaurès en sont les symboles.
Révision du procès d'Alfred Dreyfus
Ce qui emporte la décision de révision puis de grâce, c’est le ralliement de l’opinion républicaine modérée, représentée par Le Temps, Le Figaro, Le Journal des débats, Le Petit bleu et bien d’autres, renforcés par les gros tirages du Petit parisien, qui ravit la première place au Petit Journal, resté antidreyfusard jusqu’au bout. En incarnant la République, en privilégiant l’information, Le Petit parisien de Jean Dupuy, sénateur et ministre, est devenu « le plus fort tirage de tous les journaux du monde entier », comme il le proclame sous son titre chaque jour. Nombre de grands quotidiens régionaux contribuent également à la victoire des dreyfusards.
Affaire Dreyfus, un tournant pour la presse
Au total, l’affaire Dreyfus constitue un tournant dans l’évolution des médias français et dans leur rapport avec l’opinion publique et la politique. La presse a fait en partie l’affaire Dreyfus, en lui donnant un retentissement médiatique considérable ; mais il faut souligner l’autre dimension, ce que l’affaire a fait à la presse en rebattant les cartes du lectorat. Les journaux qui, tels Le Temps ou Le Petit Parisien, s’installent en République, deviennent lespiliers du régime jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Inversement, ceux qui choisissent l’armée contre la justice entament un déclin qui semble irrémédiable.





