Emmanuel Kant, la liberté sous conditions


Publié le 08/02/2013 • Modifié le 19/08/2025

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Qui était Emmanuel Kant ?

Dans la vie de professeur que Kant mena à Königsberg, où il était né en 1724, où il mourut en 1804, quelques traits, fictifs ou réels, contribuent à façonner une légende.

Ainsi, la célèbre immuable discipline de ses journées : Kant n’interrompait son travail que pour une promenade journalière, toujours la même à la même heure, de sorte que le voisinage réglait, dit-on, son horloge sur le passage du philosophe. On raconte que Kant ne rompit qu’en une seule occasion ce rituel pour donner satisfaction à l’impatient intérêt qui lui faisait attendre des nouvelles de la France révolutionnaire.

Son urbanité avec les gens du peuple n’est pas moins célèbre ; célèbre encore son fidèle valet. La légende lui attribue l’invention des supports-chaussettes : un philosophe à sa table de travail a besoin de quelque confort corporel, et la pratique de la spéculation n’empêche aucunement le souci des choses qu’on appelle « concrètes ».

Kant ne commença à publier la philosophie qui lui appartient en propre que vers la cinquantaine. Il n’a jamais cessé d’enseigner non pas seulement la logique et la métaphysique, mais aussi l’anthropologie, la pédagogie et régulièrement la géographie physique.

Loin d’être cantonné à l’aridité d’une philosophie radicale, Kant s’attache à toutes les avenues de la connaissance comme à toutes celles de la condition humaine : il écrit sur l’éducation comme sur les œuvres d’art, sur la croyance aux fantômes comme sur la religion, sur le Droit comme sur la Mécanique de Newton…

Dans cette immense production, il convient de mettre à part les écrits précritiques, c’est-à-dire ceux dans lesquels Kant n’a pas encore conquis sa philosophie propre. Le tournant est marqué par La Dissertation de 1770 avec la doctrine selon laquelle espace et temps relèvent de l’intuition sensible et non d’une saisie intellectuelle (comme c’était par exemple le cas pour Descartes qui faisait de l’étendue une idée, caractérisant la nature des corps matériels).

Œuvres principales

  • Critique de la raison pure (1781)
  • Critique de la raison pratique (1788)
  • Critique de la faculte de juger (1790)

la philosophie de Kant est une philosophie de la liberté. Si penser par soi-même consiste à ne pas se soumettre à une autorité extérieure, reste encore à éviter le pire : l’adhésion à ses propres imaginations narcissiques ! C’est pourquoi il importe tellement d’apprendre à « penser pour ainsi dire en commun avec d’autres auxquels nous communiquons nos pensées et qui nous communiquent les leurs » car ainsi, en pratiquant la « pensée élargie » nous mettons à l’épreuve nos propres pensées. Kant, en somme, retrouve Platon et la véritable urbanité du dialogue philosophant. Toutefois, il cesse d’être « platonicien » quand il écrit, à la fin de la Critique de la raison pratique que « deux choses remplissent le cœur (Gemüth) d’une admiration et d’une vénération toujours nouvelles et toujours croissantes à mesure que la réflexion s’y attache et s’y applique : le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi. » – ce qui est une fort concise façon de tenir ensemble usage théorique dela raison adonnée à la connaissance des lois de la nature ; usage pratique grâce auquel nous prenons conscience de notre liberté, sans omettre enfin le sublime, qui seul fait l’objet d’une admiration mêlée de vénération dont on peut supposer qu’elles seraient à la fois esthétiques, quand il s’agit de la splendeur du « ciel étoilé », mais aussi morales, quand il s’agit de la grandeur en nous de la morale.

Le vocabulaire de Kant

Kant serait, dit-on souvent, tout spécialement inaccessible étant donné l’obscurité de sa terminologie ; voyez un peu, ne fût-ce que les titres des parties de La Critique de la raison pure : Esthétique transcendantale, Analytique transcendantale, Dialectique transcendantale… La philosophie qui s’écrit massivement en langue naturelle a besoin de significations précises : elle y parvient soit en usant des termes de la langue habituelle à sa manière (ainsi en va-t-il de « idée », « intuition », « imagination » et autres semblables) – soit en empruntant au latin ou au grec (c’est le cas de « transcendantal »). L’effort soutenu de concentration qu’il convient de faire ne tient aucunement aux mots de la philosophie mais aux pensées. L’aridité de Kant, en outre, est largement apparente : rarement en effet un auteur aura pris autant de soin à définir et expliciter complètement ses propos. Voici quelques éclaircissements :

  1. Phénomène, chose en soi, noumène
    Nous ne saisissons les choses existantes, quelles qu’elles soient – naturelles ou fabriquées – que par une saisie sensible parce qu’elles paraissent à la présence.
    👉 Paraître à la présence, tel est le statut du phénomène. Mais avec cela, nous sommes loin de savoir de quoi il s’agit, d’où la définition du phénomène : « objet indéterminé d’une intuition sensible » ; ainsi si je vois la Lune énorme à l’horizon, j’ignore ce faisant ce qu’il en est réellement – je perçois que quelque chose se tient là, dans la présence, sans savoir ce que c’est – ce point demeure « indéterminé ».
    👉 Une autre approche que l’appréhension sensible est donc requise pour « déterminer » le phénomène afin de savoir de quoi il s’agit. Puisque la notion de phénomène désigne un « paraître », Kant affirme qu’il serait absurde de ne pas voir qu’il y a là une relation à trois termes : ce qui paraît / le paraître / ce à quoi le paraître paraît. Si nous venons de voir que le « paraître » s’offre à une réceptivité sensible, il reste à préciser que « ce » dont il y a « paraître », quant à lui, ne paraît pas. Kant écrit que « pour nous autres hommes » les choses existantes se présentent à la réceptivité sensible ; en disant « pour nous » on envisage donc un point de vue qui serait indépendant de notre sensibilité et ce point de vue, conformément à un usage grec est appelé celui de l’ « en soi »Du point de vue de la saisie sensible, de l’intuition sensible, le phénomène entre donc dans le couple : « phénomène / chose en soi ».
    👉 En revanche, si on a en vue la connaissance scientifique, qui, quant à elle, « détermine les phénomènes en objet de connaissance », alors pour ne pas confondre les choses connaissables avec celles dont on forme l’idée, sans pour autant pouvoir les connaître objectivement (tels sont par exemple dieu, l’âme), parlera-t-on non plus de chose en soi, mais de noumène.
    La distinction du phénomène et de la chose en soi, comme celle du phénomène et du noumène n’a rien d’une distinction de choses ! Elle n’a de sens qu’au titre d’une différence de perspectives.
    ► Phénomène / chose en soiphénomène / noumène sont le même, saisi soit du point de vue de « nous autres hommes » c’est-à-dire d’un esprit fini qui doit bien rencontrer les existants (et non comme le dieu biblique, d’abord les concevoir pour les faire apparaître à la présence), soit du point de vue d’un entendement de ce genre dont nous ne pouvons rien dire. kant conserve ainsi l’idée traditionnelle que, si on conçoit le fini, alors nécessairement il faut ménager une place à l’infini, cette « place » fût-elle vide, comme c’est le cas selon kant pour l’ « en soi ».
  2. A priori / a posteriori
    👉 Le déplacement par rapport à l’usage courant de ce couple, revient pour Kant à affirmer que, ce qui est universel et nécessaire (les théorèmes mathématiques, les lois de la physique par exemple) est indépendant de toute expérience – voilà l’a priori.
    👉 Inversement, tout ce qui se tire de l’expérience sera particulier et contingent, c’est-à-dire a posteriori.
    ► La question majeure qui motive en premier lieu cette affaire est la suivante : comment comprendre que les relations mathématiques qui sont a priori puissent valoir pour les phénomènes ? Cette question est celle du passage de la mathématique pure à la physique qui habite toute La Critique de la raison pure.

  3. Transcendant à / transcendantal
    S’il arrive à Kant d’user de l’un pour l’autre, chaque terme a pourtant une signification propre.
    👉 « Transcendant à X », entre en couple avec « immanent à » pour distinguer ce qui se tient dans le champ de X, qui en général désigne l’expérience, de ce qui dépasse ce champ ainsi que le font l’idée de Dieu, celle de l’immortalité de l’âme, du commencement du monde ou de sa fin et autres idées transcendantes semblables.
    👉 « Transcendantal », en revanche, désigne undomaine d’investigation proprement kantien – comme l’indiquent les titres des parties de l’œuvre kantienne qui furent rappelés. « Transcendantal » est condition de l’a priori.
    ► Soit par exemple la loi du mouvement uniformément accéléré, formulée par Galilée ; elle démontre que le mouvement de chute libre est tel que les espaces parcourus (par une pierre lâchée du haut de la tour de Pise, par exemple) sont proportionnels au carré des temps mis à les parcourir. Il saute aux yeux qu’une telle relation entre « e » les espaces parcourus, et « t », les temps mis à les parcourir, ne peut pas être tirée de l’expérience mais est au contraire a priori. L’investigation transcendantale consiste pour Kant à chercher ce que suppose le fait qu’un tel rapport a priori s’applique aux objets de l’expérience : il ne faut pas moins que toute la Critique de la Raison pure pour envisager ce que suppose ce fait, c’est-à-dire finalement ce que suppose la mathématisation de la physique quant à la nature de la connaissance et à celle du connaissable.

  4. Esthétique
    « Aisthesis » signifie en grec « sensation » et Kant appelle une « esthétique », une théorie de la sensibilité, conformément à un usage qui vient d’être modifié par Baumgarten qui, lui, entend par là une théorie des beaux-arts. Ce que Kant appelle « Esthétique transcendantale » contient une théorie de l’intuition sensible, et nullement comme chacun peut voir, des considérations sur l’art.

  5. Catégories
    Empruntant ce terme à Aristote, Kant désigne par là des concepts premiers, c’est-à-dire fondamentaux, donc a priori. Ces concepts a priori sont comme les éléments dont serait constituée notre pensée, dès lors que nous formons la représentation de quelque chose comme objet. Sans raconter ici comment Kant les trouve, ni quels ils sont nommément, on peut éclairer ce dont il s’agit : les grands titres de la table des catégories édifiée par Kant sont en particulier, la « quantité », la « qualité », la « relation » et la « modalité ».
    ► Dire que ces notions seraient, à elles toutes, les ingrédients de toute représentation d’objet, signifie que, avant même de penser un objet, je sais qu’il faudra bien qu’il soit « un » ou « multiple » (voilà pour la « quantité ») – qu’il soit « réel » ou non réel (voilà pour la « qualité ») – relevant de la « causalité » ou de l’ « action réciproque » (voilà pour la « relation »), « possible » ou « existant » (voilà pour la modalité). Kant parle ainsi toujours des « formes catégoriales » et on comprend bien qu’il s’agit des formes a priori de la pensée de tout objet.

Ainsi Kant entend-il comme chacun que l’intuition est un mode de saisie immédiat, c’est-à-dire sans intermédiaire, mais il ne cesse de préciser que « pour nous autres, hommes », il ne saurait y avoir d’autre intuition que sensible. Kant, par conséquent, refuse toute capacité d’intuition intellectuelle, ce qui signifie qu’il récuse le critère cartésien de l’évidence intelligible. Dès lors, comment Kant va-t-il s’y prendre puisqu’il s’inscrit dans le rationalisme idéaliste, s’il rejette un des plus solides idéalismes du XVIIe ? Il faut répondre sans doute que Kant institue la raison elle-même en tribunal, c’est-à-dire en critique d’elle même.

 


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