Kant, un philosophe des Lumières ?

Kant fut-il un Aufklärer, c’est-à-dire un penseur des Lumières ?


Publié le 11/02/2013 • Modifié le 19/08/2025

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Les Lumières contre l'obscurantisme

S’il s’agit de défendre les Lumières contre toute forme d’obscurantisme, si la « liberté de parler et d’écrire » est menacée de censure religieuse ou politique, alors oui, Kant est aux côtés des Lumières.

L’obscurantisme, à la fois pratique et conviction politiques, consiste à dénier toute valeur aux connaissances et à l’esprit aventureux de la science et de la philosophie. Par les tribunaux de l’Inquisition, Giordano Bruno fut, à l’orée du XVIIe siècle, condamné au bûcher, Galilée cinquante ans plus tard à de longues années de « résidence surveillée ». Ailleurs, en France, Diderot sera emprisonné à la forteresse de Vincennes et Rousseau, peu après, expulsé de France d’abord, puis de la République de Genève, pour son Émile dont les exemplaires seront brûlés et l’ouvrage interdit. Censure des Eglises ou des Princes : toujours les libres voies explorées par écrivains, savants et philosophes mettraient, selon l’obscurantisme, le « trône et l’autel » en danger et, selon les fanatiques, l’esprit devrait s’incliner devant les vérités de la religion quelle qu’elle soit – et surtout s’en contenter. Luther s’écria que la raison est « la putain du diable » et selon la plupart des théologiens le désir de connaître serait suspect de péché d’orgueil.

« Sapere aude »

Selon Kant, les Lumières se définissent par la capacité des individus comme des peuples à se conduire en majeurs, et non en éternels mineurs qui auraient besoin de guides. Or, qu’est-ce que la majorité ? « Sapere aude » ! « Ose penser par toi-même » – telle est sa maxime.

Sapere aude ! Il y a là une formule suffisante s’il s’agit, défensivement, de marquer la nécessité de l’indépendance à l’égard des autorités théologico-politiques. Lorsque Kant explicitera de façon non polémique ce que signifie « penser par soi-même » (en particulier dans La Critique de la faculté de juger), il précisera que c’est « penser pour ainsi dire en commun avec d’autres auxquels nous communiquons nos pensées et qui nous communiquent les leurs »L’aptitude à faire mienne la pensée d’autrui pour l’examiner comme si elle était mienne, Kant la nomme « pensée élargie » et on voit bien, semble-t-il, que, sans cet élargissement à des vues autres que celles que nous avons déjà, sans cette communicabilité, nous serions fermés à toute instruction, à toute éducation pour ne faire que ruminer notre propre narcissisme.

👉 En tant que Kant est un défenseur d’une éducation en vue de la liberté, en tant qu’il défend ardemment la rationalité contre les prétentions des « gourous » et des « illuminés » (il démolit la prétendue théorie des esprits, esprits immatériels avec lesquels Swedenborg affirme entrer en communication), on a fort envie de classer Kant à l’intérieur de l’Aufklärung.

Les limites de la raison chez Kant

Non, Kant n’est pas un Aufklärer. Loin, en effet, de « tout » accorder à la raison, Kant lui retire ses traditionnelles prérogatives ; quand il s’agit de la connaissance des existants, la raison devient une folle aventurière qui doit se discipliner pour se soumettre à l’entendement, seul capable d’effectuer la liaison requise par toute connaissance objective entre les concepts et l’expérience.

Comprenons bien que l’esprit est un ! Tant qu’on ne cherche pas à cerner tel ou tel usage de notre intelligence, dire « esprit », « raison » ou « entendement » est équivalent. En revanche, quand il s’agit de connaissance scientifique, Kant va parler de l’entendement comme source des concepts, parce qu’il faut que ces derniers puissent « déterminer », nous l’avons déjà vu, les phénomènes – ce qu’un concept tel que « infinité » ou tel que « totalité » ne peut faire. De tels concepts, qui ne peuvent s’appliquer à l’expérience, Kant les impute à la raison, et les appelle, en songeant de loin à Platon, des idées.

La grande trouvaille de Kant consiste à, sans cesse, affirmer que d’un concept on ne peut tirer ni la connaissance, ni la certitude d’aucun existant : le « logique » n’enveloppe aucune « réalité » ! La non-contradiction d’un raisonnement ou d’un concept n’indique rien quant à la réalité « possible » du conçu. Le possible, par conséquent, loin d’être ce qui est pensable sans contradiction, devient immanent à l’expérience et se définit par les conditions de celle-ci, non par celles de nos pensées.

Si la raison désigne en nous l’élan qui nous porte au-delà du donné, au-delà des faits, vers les questions qui touchent au sens des choses et de notre condition, elle est donc apte à enfourcher des chimères mais aussi à se discipliner elle même. S’il en est ainsi c’est donc qu’elle est la liberté ; ne répétons pas que s’il fallait un guide extérieur nous serions d’éternels mineurs.

Concluons ce point en rappelant que la foi en la lumière de la raison propre à l’esprit des Lumières a consisté à imaginer que les magnifiques succès de la « science nouvelle » permettaient d’envisager la disparition de la superstition, du fanatisme et de l’oppression. Kant, lui, restreint l’empire de la raison puisqu’en matière théorique, sa fonction est seulement négative : c’est une fonction de discipline et de critique.


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