Le tigre et le python (conte de Martinique)

Un tigre régnait en maître dans une contrée lointaine ; grand amateur de viande, il causait des ravages chez tous les animaux, grands et petits.

Ils se nourrissait de chats, de lapins, de canards, de chiens, d’éléphanteaux, de vaches, de chevaux et bien d’autres animaux encore. Ceux-ci se cachaient à son approche, mais le tigre est un fin chasseur qui attaque toujours ses proies par surprise.

Un jour, tapi dans un bosquet, il vit un énorme python s’en allant cahin-caha vers une destination qui ne semblait connue que de lui.

Une idée traversa brusquement la tête de notre tigre qui se dit : « Avec un morceau pareil j’aurai au moins pour deux jours de nourriture ».

La faim se mit à lui tenailler les entrailles. Il se mit à suivre sa proie avec l’agilité , la célérité et la sûreté propres aux animaux de son espèce. Au détour d’un chemin, avec une rapidité déconcertante, il bondit sur le python ; il planta ses crocs acérés dans la tête du reptile qui siffla de douleur.

Mais si le tigre est rusé, le python n’est pas usé. En un rien de temps, le serpent devient maître de la situation ; il s’enroule autour du fauve graduellement, mais irrémédiablement déjà ses anneaux constrictors commencent à comprimer la cage thoracique de la victime qui s’époumone et s’évertue à se débattre. De ses yeux qui prennent déjà l’aspect vitreux de la mort, coulent des larmes d’épuisement.

Finalement, le tigre lâche prise et s’immobilise, attendant avec résignation l’issue fatale.

Mais, notre python, aux dimensions démesurées, est aussi bon prince ; il desserre son étreinte et notre félin, honteux et las, s’enfuit à toutes pattes, la tête basse.

Le python, épuisé par une aussi longue lutte, est capturé par une meute de chasseurs et mis en cage. Le tigre, affamé par un effort aussi intense, ne peut résister à la tentation de pénétrer dans une autre cage pleine de chair fraîche, sanguinolente et singulièrement variée. Il est à peine entré qu’un bruit sec derrière lui referme la porte de la cage.

Les deux cages furent hissées dans une charrette et placées côte à côte ; les deux adversaires d’hier devenaient les amis d’aujourd’hui.

En route, vers un zoo européen, ils savaient qu’ils n’auraient plus à se battre pour manger, mais qu’ils avaient, pour ainsi dire, définitivement perdu leur liberté.

Le tigre et le python

Extrait de Fables et Contes Afro-antillais de Jean Juraver 

Éditions Présence Africaine