L’œuvre multiple et dense de Stefan Zweig (1881-1942) fait de lui un auteur inclassable. Hypersensible et perpétuellement angoissé, il décrit avec précision les tourments émotionnels de ses personnages, tous victimes de passions destructrices. Son écriture concise et efficace ainsi que l’importance de la dimension psychologique dans ses textes en font un écrivain moderne, toujours apprécié aujourd’hui. Pacifiste convaincu, il souhaitait une Europe unie, dépassant les clivages nationalistes : des idéaux humanistes qui seront anéantis par les deux conflits mondiaux.
Qui était Stefan Zweig ?
Stefan Zweig naît le 28 novembre 1881 à Vienne au sein d’une famille aisée. Si son père morave et sa mère, née en Italie, sont tous deux juifs, il a été élevé dans un milieu laïque. Après une scolarité mal vécue, car trop rigide, il obtient son baccalauréat en 1900. Le jeune homme fait alors un choix : ce sera l’écriture.
Il compose de nombreux poèmes, qu’il reniera par la suite, et publie ses premiers textes dans le Neue Freie Presse, l’un des principaux quotidiens austro-hongrois de l’époque. Tout juste auréolé de ses premiers succès littéraires, il poursuit sa formation artistique dans les cercles avant-gardistes européens, à Berlin, Paris, Bruxelles ou encore Londres. Il étudie l’œuvre de l’écrivain russe Dostoïevski, il s’enthousiasme pour le peintre Munch, il se lie d’amitié avec Jules Romains et le poète belge Émile Verhaeren. Il est polyglotte : il parle français, italien, allemand, et anglais, et il va traduire un nombre impressionnant d'auteurs. En 1904, il obtient son doctorat de philosophie à l’université de Vienne. Cette même année est publié son premier recueil de nouvelles, L’Amour d’Erika Ewald. Il devient un auteur apprécié (un second volume de nouvelles, Première expérience, paraît en 1911) et rédige la biographie d’Émile Verhaeren (publiée en 1910). Il s’essaye aussi au théâtre avec Thersite (1907) et La Maison au bord de la mer (1911). En 1908, Zweig entame une correspondance avec Freud, puis avec l’écrivain français Romain Rolland (1910). Une profonde amitié liera les deux hommes qui partagent les mêmes idéaux pacifistes et humanistes.
Le déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914 le ravage moralement. Grâce à Romain Rolland, il surmonte sa profonde déception et accomplit son devoir militaire dans les services administratifs. À Salzbourg où il s’installe ensuite avec son épouse Friderike, Zweig poursuit son intense activité de biographe qui lui apporte une grande renommée littéraire. Après l’armistice, il voyage beaucoup pour promouvoir ses convictions pacifistes, et rédige la biographie de Romain Rolland (1921). Il fréquente l’avant-garde littéraire et picturale de l’après-guerre et connaît le succès avec son recueil de nouvelles Amok (1922). Parallèlement, le cinéma s’intéresse à son œuvre : plus de dix-huit films seront tirés de ses écrits.
De Salzbourg, Zweig assiste avec effroi à l’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933. Sa judéité, jusque-là peu revendiquée, devient plus présente à son esprit et dans son œuvre. La persécution des juifs et le déchirement imminent de l’Europe le plongent dans une dépression dont il ne sortira plus. Il voit le livret de l’opéra La Femme silencieuse, écrit pour Richard Strauss, mis à l’index par les autorités nazies. Ses livres seront ensuite brûlés sur les places publiques allemandes. Stefan Zweig choisit l’exil. Profitant de recherches pour une biographie de Marie Stuart, il s’installe à Londres en 1934. Il divorce et épouse en 1939 sa jeune secrétaire Charlotte Elizabeth Altmann, dite Lotte. L’annexion de l’Autriche par Hitler le prive de sa nationalité autrichienne. Malgré l’obtention de la nationalité britannique en 1940, il se sent apatride. Pessimiste par tempérament, pathologiquement dépressif, il ne trouvera plus le repos de l’âme. La déflagration mondiale le terrifie et l’entrée en guerre de l’URSS et des États-Unis en 1941 ne le rassure nullement. Fatigué et désabusé, il s’installe au Brésil avec Lotte. Vaine tentative : il s’enfonce de plus en plus dans la dépression, la santé précaire de son épouse et l’évolution du conflit n’arrangeant rien. Stefan Zweig et Lotte se suicident en ingérant des barbituriques le 22 février 1942.
Dates-clés
- 1881 : naissance de Stefan Zweig
- 1904 : doctorat de philosophie à l’université de Vienne
- 1908 : Zweig entame une correspondance avec Freud
- 1921 : rédaction de la biographie de Romain Rolland
- 1922 : publication de son recueil de nouvelles Amok
- 1938 : Zweig perd sa nationalité autrichienne
- 1942 : suicide de Stefan Zweig
Une vie de voyages
Toute sa vie, Zweig n'aura de cesse de voyager. Dès 1902, il commence à sillonner l'Europe (Allemagne, Belgique, France, Italie), puis le monde (Inde, États-Unis, Canada). Après 1934 et son exil, ces séjours auront une saveur amère de non-retour. Cette frénésie de voyages s'explique en partie par la relation complexe et paradoxale que Zweig entretient avec sa ville natale, Vienne. Jeune homme, il fréquente les cafés, les bibliothèques, les théâtres. Il y règne une effervescence qui ne parvient pourtant pas à masquer la rigidité d'un empire vieillissant et d'une société figée. Le jeune Zweig étouffe, il estime que la société viennoise juge, enferme, cloisonne. Les artistes sont en quelque sorte prisonniers : ils doivent se conformer au « goût » en vigueur dans la capitale. Il sait que s'il veut s'accomplir, il doit fuir Vienne. Très vite, il prend ses distances par rapport au milieu littéraire viennois, dans lequel il ne se reconnaît pas et où, malgré ses succès et une certaine réputation, il n'est pas réellement admis. Pourtant, il est conscient que Vienne est un carrefour historique et culturel incontournable et la ville reste pour lui un point de repère. Il y reviendra régulièrement et il y conservera longtemps un appartement. Mais il y a aussi une explication plus sombre à ces déplacements permanents : Zweig admet qu'ils lui permettent de refouler son angoisse constante et pathologique même si l'effet est éphémère.
Sa soif de découverte et sa curiosité insatiable expliquent également ses innombrables voyages. S'il s'est déjà aventuré hors de l'Europe, sa patrie reste définitivement le Vieux Continent. Zweig n'est pas seulement Viennois et Autrichien, c'est un Européen convaincu.
Le rêve européen
Issu d'un père morave et d'une mère née en Italie, tous deux juifs, il a été élevé dans un milieu laïque. Zweig ne se lasse pas de découvrir et d'approfondir sa connaissance des cultures européennes, d'aller à la rencontre de l'autre. Il est d'ailleurs polyglotte : il parle français, italien, allemand, et anglais, et il a traduit un nombre impressionnant d'auteurs. C'est en cela qu'il est cosmopolite et viscéralement Européen.
Zweig considère Érasme comme le premier Européen, œuvrant selon des principes humanistes. Et comme Érasme en son temps, il souhaite plus que tout préserver son indépendance et sa libre-pensée. Il refusera toujours l’embrigadement, le rattachement à une cause idéologique, religieuse ou politique. Si Zweig ne renie pas pour autant sa judéité (le judaïsme est présent dans plusieurs de ses textes), il refuse de se laisser enfermer dans le carcan d'une identité purement ethnique ou religieuse. Ainsi, bien que Zweig ait travaillé avec Theodor Herzl, théoricien du sionisme (mouvement prônant la création d’un État juif en Palestine), il n’y adhérera jamais. Pour Zweig, l’identité européenne doit transcender toutes les autres. Comme Romain Rolland, il pense que seule la culture (la littérature, la musique) peut vaincre les nationalismes exacerbés dont sont issues les rivalités qui gangrènent l’Europe. Zweig ne se lasse pas de découvrir et d'approfondir sa connaissance des cultures européennes, d'aller à la rencontre de l'autre.
Un idéal pacifiste
Zweig cède brièvement à la fièvre nationaliste, mais il s’en écarte rapidement. Il est anéanti par ce déferlement de haine, particulièrement entre Français et Allemands. Car même s’il est Autrichien, la culture germanique est une part essentielle de son identité culturelle. Seul le militantisme actif de Romain Rolland le tire de son profond accablement. Rolland exprime dans son roman Jean-Christophe son rêve d’une union entre deux nations depuis longtemps ennemies, la France et l’Allemagne. Pour l’écrivain français l’unité des nations européennes passe justement par celle des deux rivales. L’amitié entre Zweig, francophile, et Rolland, fin connaisseur de la culture allemande, reflète à leur échelle cet idéal. Un espoir qui, dans ce contexte d’avant-guerre, paraît d’autant plus atypique. La Première Guerre mondiale y met brutalement un terme. Zweig achève en 1917 la pièce Jérémie, dans laquelle il affirme son idéal pacifiste : c’est un franc succès. Il réitère dans son essai Le Cœur de l’Europe, où se mêlent pacifisme et esprit paneuropéen. Après la guerre, il entame une série de conférences à travers l’Europe où il parle de Romain Rolland mais aussi d’autres auteurs (Balzac, Dickens, Stendhal). Il perçoit à travers ces artistes une trame qui dépasse les frontières physiques : selon lui la culture est la clé de la réconciliation. À chaque fois, il s’exprime en faveur de la paix et de la fraternité européenne, la seule cause politique dans laquelle il s’est réellement investi au cours de son existence. L’arrivée au pouvoir d’Hitler et l’imminence d’un nouveau conflit qui va enflammer l’Europe toute entière balayent son idéal et tous ses espoirs. Il ne s’en relèvera pas.
L'univers amical, littéraire et intellectuel de Stefan Zweig
Il n'y a rien d'étonnant à ce que l'amitié ait joué un rôle essentiel au cours de l'existence de Zweig, lui qui ne rêve que de fraternité et d'échanges entre les hommes et les nations.
Les échecs amicaux seront pour lui des drames difficilement supportables. On peut citer parmi ses amis Freud, les écrivains Arthur Schnitzler, Joseph Roth et le français Jules Romains ou bien le peintre et graveur belge Franz Masereel. Deux hommes ressortent nettement dans ce paysage affectif : le poète belge Emile Verhaeren et l'écrivain français Romain Rolland, qui auront un impact profond sur Zweig et ses idéaux.
Emile Verhaeren
La force de Verhaeren, la vitalité de ses écrits et son mode vie rustique sont à l'opposé de l'atmosphère littéraire très précieuse de Vienne. À son contact, Zweig se libère, s'ouvre à d'autres dimensions : autant il est introverti et réfléchi, autant Verhaeren est entier et passionné. Zweig consacre durant 2 ans toute son énergie afin de faire connaître l'œuvre de Verhaeren hors des frontières belges, et il écrit également sa biographie. La Première Guerre mondiale les séparera, Verhaeren se laissant emporter par un anti-germanisme virulent. Il honnit l'Allemagne et renie ses amis allemands : c'est un déchirement pour Zweig, si dévoué et fidèle. Pourtant, il n'arrive pas à lui en vouloir et il tente jusqu'au bout d'excuser son ancien mentor.
Romain Rolland
Cependant, aucun homme n'aura autant d'importance et d'influence sur Stefan Zweig que l'écrivain Romain Rolland. une profonde amitié lie les deux écrivains, qui discutent et échangent sans cesse et sur tout : la philosophie, la musique, la littérature. Ils parlent aussi de leur conception du monde et de l'humanité. En effet, ils partagent les mêmes idéaux pacifistes, particulièrement celui d'unité des nations européennes. Romain Rolland et son œuvre expriment et défendent ces principes humanistes que Zweig porte en lui depuis toujours. Comme à chaque fois qu'il admire un homme et son travail, Zweig écrit sa biographie, il le traduit et le fait connaître en Allemagne. Rolland sera à la fois son ami, son guide et son repère pendant de nombreuses années. Leur relation s'étiolera dans les années 1930 : Rolland ne comprend plus l'attentisme et le silence de Zweig face à la montée du nazisme. Car Zweig, qui a pourtant conscience du danger, refuse par principe de se mêler de politique et de prendre parti.
Œuvres principales
Amok (1922), La Confusion des sentiments (1926), Vingt-quatre heures de la vie d'une femme (1934), Le Joueur d'échecs (1943), Le Monde d’hier (1944)




