Racine, un auteur d'inspiration classique
Pièces en alexandrins et en cinq actes, les tragédies de Racine empruntent leurs sujets à l’histoire ou à la mythologie. Ainsi, Mithridate, Britannicus, Bérénice, proviennent de l’histoire romaine ; Andromaque, Iphigénie, Phèdre, de la mythologie. Et si Bajazet, pièce « turque », se réfère à l’histoire contemporaine, le manque de distance est compensé par l’exotisme géographique et culturel. Dans ses préfaces, Racine revendique l’héritage des Anciens, des Grecs Euripide, Eschyle, Sophocle ou d’auteurs latins comme Virgile, Sénèque, Tacite. Esther et Athalie, tragédies religieuses, sont, quant à elles, issues de la Bible.
Unité de temps, de lieu et d'action
Racine suit la règle des trois unités. L’action commence le matin pour s’achever le soir, respectant :
- l’unité de temps (la durée de l’intrigue ne doit pas excéder vingt-quatre heures)
- l’unité de lieu (l’action se déroule dans un seul lieu)
Elle contribue à enfermer les personnages dans le cercle de leurs passions. - l’unité d’action (une seule intrigue)
Extrême dans Bérénice, est aussi respectée dans des tragédies comme Bajazet, dont les péripéties servent le déroulement de l’action principale.
Le style tout en nuances de Racine
Par ailleurs, l’obligatoire vraisemblance ne coïncide pas nécessairement avec le vrai ; Racine se conforme aux habitudes culturelles de son public, admettant des touches de merveilleux païen (comme le « monstre » qui, dans Phèdre, attaque Hippolyte) ou de merveilleux chrétien issu des récits bibliques.
Les bienséances exigent de ne pas heurter le goût ou les idées des spectateurs, d’éviter une violence susceptible de les fasciner. Les brutalités – assassinats de Pyrrhus dans Andromaque, de Britannicus, de Roxane, dans Bajazet – sont racontées et non montrées. La proscription d’un langage cru épure un style subtil qui recourt à la litote, à l’euphémisme. Loin d’en être prisonnier, Racine exploite les contraintes de la tragédie classique pour obtenir un maximum d’intensité. Le dénouement doit restaurer la morale compromise par le déchaînement des passions. Ses tragédies s'achèvent par la déploration, la compassion et les larmes.
Mourir d'aimer
La galanterie, courant esthétique majeur alors que Racine écrit Andromaque (1667), dépeint avec un raffinement subtil les méandres des sentiments amoureux. Si Racine en reprend le vocabulaire et les images (« feux », « fers », « flammes »), il les réactive, leur restitue un sens propre : mourir d'aimer devient une réalité et cesse d'être une métaphore. Passion irrépressible, l’amour domine le théâtre racinien. Mû(e) par une idée fixe, prêt(e) à toutes les violences pour s’assurer la possession de l’être aimé, l’amoureux ou l’amoureuse (qui aime sans être aimé) s’enferme dans une aliénation croissante. L’amour passionnel est montré jusque dans ses manifestations physiques : ainsi Phèdre rougit, pâlit, tremble à la vue d’Hippolyte. Racine dépeint aussi les douceurs de sentiments tendres, purs, d’amants (dont l’amour est réciproque) qui se heurtent à la fureur d’un(e) amoureux(se). C’est Junie et Britannicus affrontant Néron, Atalide et Bajazet opposés à Roxane, Aricie et Hippolyte à Phèdre.
Deuxième grande passion du théâtre racinien, l’amour du pouvoir ravage certains de ses héros tels Néron, Agamemnon, Athalie. Chaque tragédie s’ouvre sur une crise passionnelle qui sera exacerbée par des obstacles extérieurs (refus de l’être aimé, interdits familiaux, raison d’Etat) ou intérieurs, comme un fort sentiment de culpabilité. La crise s’amplifie graduellement jusqu’à une issue le plus souvent fatale.
Des héros prisonniers de la fatalité
Tout en se livrant à une analyse lucide des sentiments ou des signes de la passion, le héros qui souffre d’un amour pathologique ou d’un appétit incœrcible de pouvoir est incapable d’obéir à la raison. Il se débat vainement contre ses pulsions et le spectateur assiste à une marche inexorable vers la catastrophe. Car tout est joué d’avance, l’homme, soumis à une fatalité déterminée par les dieux, n’est pas libre. Le dénouement d’une tragédie doit rétablir des rapports familiaux ou sociaux déréglés par le jeu des passions, mais, chez Racine, l’ordre politique n’est jamais vraiment restauré et le spectateur, ému et fasciné par l’épreuve des passions est, la crise achevée, invité à la compassion par les larmes que Thésée se propose de verser sur Hippolyte, ou un dernier « Hélas ! » de Bérénice.





