Les autres vies de Charles Baudelaire


Publié le 17/10/2012 • Modifié le 27/02/2024

Temps de lecture : 4 min.

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Baudelaire, le critique d'art

De 1845, avec le Salon de 1845, à 1863, avec un essai sur le dessinateur Constantin Guys, en passant par le Salon de 1846, l’Exposition universelle de 1855, le Salon de 1859, des études littéraires et un essai sur Richard Wagner, Baudelaire s’est constamment voué à une œuvre critique.

Une réflexion sur l'art

Si la critique d’art répond au « culte des images », « grande » et « primitive » passion de Baudelaire, elle est, de même que la critique littéraire ou musicale, le moyen d’exposer sa propre esthétique. Pour Baudelaire, un véritable poète contient nécessairement un critique, et il n’est pas d’art sans réflexion sur l’art. Mais il n’est pas d’art, non plus, sans une sensibilité particulière et une vision du monde originale, aussi, seul un artiste, doté de ces qualités, est apte à traduire l’univers d’un autre artiste ; ainsi « le meilleur compte rendu d’un tableau pourra être un sonnet ou une élégie ».

En quête de modernité

Dès 1846, Baudelaire affirme l’importance de la modernité en art et définit le romantisme comme l’expression la plus récente du beau. Double par nature, le beau est composé d’un élément éternel et d’un élément transitoire qui reflète une époque, une mode, des circonstances. En 1863, l’essai sur Constantin Guys précise cette esthétique de la modernité qui extrait l’éternel d’un quotidien fugace. Outre la peinture, Baudelaire s’est intéressé à la sculpture, la gravure, la caricature, la photographie. Eugène Delacroix, « peintre-poète » dont Baudelaire loue le mélange de science et de « naïveté », la mélancolie et la primauté de la couleur, est sa grande et constante admiration. En Victor Hugo, dont le sépare la croyance au progrès (le seul progrès, pour Baudelaire, est de nature spirituelle), le critique salue le « rajeunissement » apporté à la poésie, l’universalité, l’aptitude à percer « le mystère de la vie ». Il loue « l’amour exclusif du Beau » de Théophile Gautier, c’est-à-dire un art qui n’a d’autre but que lui-même et refuse de servir explicitement le vrai ou le bien, la science ou la morale. Admirateur de Chateaubriand, fondateur de « la grande école de la mélancolie », de Balzac, de Sainte-Beuve en qui il voit un précurseur des Fleurs du Mal, Baudelaire peut aussi analyser avec sympathie l’œuvre de Marceline Desbordes-Valmore qui est à l’opposé de ses propres conceptions poétiques. Mais, évoquant l’exaltation produite sur lui par Tannhäuser, c’est bien des éléments de son univers que Baudelaire retrouve chez Richard Wagner : visions, système des correspondances, cœur humain écartelé entre le Bien et le Mal.

Baudelaire, le traducteur

L'écrivain américain Edgar Poe (1809-1849) est pour Baudelaire un frère dont les thèmes, les principes poétiques sont proches ou semblables aux siens et dont le rapproche aussi la destinée malheureuse ; comme lui, Poe est victime de la fatalité, du « guignon ».

Baudelaire traduit Poe parce que ce dernier, dit-il, lui ressemble :

« La première fois que j’ai ouvert un livre de lui, j’ai vu, avec épouvante et ravissement, non seulement des sujets rêvés par moi, mais des phrases pensées par moi, et écrites par lui vingt ans auparavant. »

(Lettre à Théophile Thoré, 1864).

Comme Baudelaire, Edgar Poe allie spiritualité et rigueur, et son aspiration à l’infini se double d’un travail de logicien, d’analyste.

Pendant une quinzaine d’années, Baudelaire, perfectionnant sa connaissance de l’anglais,  traduit trois volumes de contes, Histoires extraordinaires, Nouvelles histoires extraordinaires et Histoires grotesques et sérieuses, un roman, Aventures d’Arthur Gordon Pym, et un essai, Eurêka. Par leur beauté, leur pureté, ces traductions se sont, dès leur parution, imposées avec la force d’œuvres originales.

Avant de découvrir Poe, Baudelaire avait traduit une nouvelle, Le Jeune Enchanteur, et des chansons. Il traduit aussi des fragments du Chant de Hiawatha, de Longfellow, et adapte, dans les Paradis artificiels, des extraits des Confessions d’un mangeur d’opium anglais, de Thomas De Quincey (1785-1859), synthétisant et organisant une œuvre touffue, remplie de digressions.

Baudelaire, l'essayiste

Nombre d’écrivains, dont Alfred de Musset et Théophile Gautier, s’étaient intéressés aux effets des drogues. Contrairement à ses devanciers, Baudelaire refuse le pittoresque et l’anecdotique pour traiter le sujet en moraliste, métaphysicien et poète ; il voit dans la consommation de hachisch ou d’opium une quête d’infini. Mais si les drogues procurent visions et amplification des sensations, elles compromettent la volonté, c’est-à-dire, pour le poète, l’aptitude à traduire des visions qu’il devrait obtenir par lui-même. Publié en 1860, son essai sur Les Paradis artificiels condamnent donc l’usage des drogues tout en exaltant les « fêtes du cerveau » qu’elles procurent et livrent une réflexion approfondie sur l’art et la poésie. La beauté de la langue permet aussi de lire cet essai comme un long et somptueux poème en prose. Précédés d’une étude de 1851 sur le vin et le hachisch, Les Paradis artificiels sont composés de deux sections : « Le Poème du hachisch » et « Un mangeur d’opium » où Baudelaire a partiellement traduit, adapté et commenté Les Confessions d’un mangeur d’opium anglais de Thomas De Quincey (1785-1859). Si Baudelaire n’a jamais été un véritable consommateur de hachisch, l’opium, sous forme de gouttes de laudanum, lui a été prescrit comme antalgique ; l’accoutumance et l’augmentation des doses en ont fait une véritable drogue.

Les correspondances de Baudelaire

Improprement regroupés sous le titre de  Journaux intimes, trois ensembles de notes, Mon cœur mis à nu, Fusées et Hygiène, livrent, de façon disparate, des réflexions philosophiques ou esthétiques, des aspects de la vie intime ou sociale du poète, ou ses aversions, exprimées avec violence.

Mon cœur mis à nu devait être un « grand livre » de confessions dans lequel Baudelaire aurait exprimé toutes ses colères ; « je veux faire sentir sans cesse que je me sens comme étranger au monde et à ses cultes », écrit le poète à sa mère en 1861. D’une extrême violence sont aussi les notes que Baudelaire, avant de sombrer dans le silence, avait prises en vue d’un pamphlet contre la Belgique, fragments qui reflètent ses déceptions, peu après son arrivée à Bruxelles, ses échecs, et qui sont, plus généralement, la satire d’un matérialisme que le poète abhorrait. Pauvre Belgique ! et les Journaux intimes ont été publiés après la mort de Baudelaire.

La Correspondance, si intense et poignante, est un instrument irremplaçable pour comprendre la vie douloureuse du poète et sa nécessaire opposition aux valeurs de la bourgeoisie sous Louis-Philippe et le Second Empire. Les lettres à Mme Aupick, sa mère, sont souvent de profondes, douloureuses confessions ; Baudelaire expose ses souffrances physiques, ses fuites de logis en logis pour échapper à ses créanciers, ses souffrances morales, comme la terreur de mourir sans achever son œuvre ou la tentation récurrente du suicide. L’ensemble de la correspondance, lettres au notaire Ancelle, à ses amis comme Charles Asselineau ou l’éditeur Poulet-Malassis, à des écrivains, des directeurs de journaux, des créanciers, offrent une plongée dans les tracasseries, les luttes incessantes qui constituaient la vie quotidienne du poète.


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