Sur le continent américain
En Amérique du Nord, les États-Unis et le Canada, l’un et l’autre États fédéraux et pays d’immigration, ont défini, chacun selon son génie propre, les relations entre les Églises et l’État.
Les États-Unis : entre démocratie laïque et États religieux
Selon le premier amendement, « Le Congrès ne pourra faire aucune loi ayant pour objet l’établissement d’une religion ou interdisant son libre exercice ». En application de ces dispositions, la puissance publique fédérale s’interdit de subventionner les écoles religieuses. En dépit des pressions de certains présidents ou de certains parlementaires, la prière demeure interdite dans les écoles publiques.
Cependant, les États-Unis ne figurent pas dans la maigre cohorte des États laïques. La raison première tient au caractère fédéral du système politique américain. Pour la Cour suprême, les droits exprimés dans le Bill of Rights ne concernent les citoyens qu’en tant que citoyens des États-Unis et non des États fédérés. Or, la plupart des constitutions des cinquante États fédérés font une référence explicite à Dieu. La séparation américaine constitue essentiellement une garantie pour les religions.
À cela s’ajoute un phénomène particulièrement marqué d’imprégnation religieuse qui s’exprime avec constance dans les discours des responsables politiques. « In God we trust », c’est par cette formule, inscrite sur les billets de banque, que le dollar a diffusé, à travers le monde l’image d’une Amérique assurée de sa puissance et de ses certitudes. Les églises ont, très tôt, pris la mesure du champ d‘intervention que leur conférait le premier amendement.
Le Canada, pays à tendance laïque
Dès l’origine, la tolérance religieuse, entre catholiques et anglicans, s’affirme comme une composante essentielle de la culture politique canadienne. Ceci a conduit à l’émergence d’une laïcité implicite, reposant sur une abstention financière de l’État à l’égard des Églises, la liberté de conscience et de religion étant, par ailleurs, garantie. L’existence d’un attachement au respect des libertés individuelles, et notamment de la liberté religieuse, a conduit au développement d’« accommodements raisonnables », formule qui recouvre la faculté offerte aux autorités publiques ainsi qu’aux entreprises privées d’aménager les règles générales applicables afin de tenir compte de l’exercice de leurs droits par les personnes appartenant à des minorités, notamment religieuses.
Le Mexique, proche du modèle français
Le cas du Mexique semble proche du modèle français. Même anticléricalisme, qui, dès le XIXe siècle, permet de construire une réalité séparatiste. Même logique d’affrontement après que la hiérarchie catholique a apporté son soutien au coup d’État de 1913. Même affirmation d’une éducation laïque.
Cependant, l’État, dominé par le Parti révolutionnaire institutionnel, s’est comporté moins en gardien de l’ordre public qu’en véritable régulateur de l’activité des Églises. La récente défaite du parti dominant s’est accompagnée d’une forte remobilisation de l’Église catholique qui tente de regagner une partie de son influence.
Le Brésil, pays de liberté de conscience et de culte
Dès l’accession du pays à l’indépendance, en 1822, la liberté de conscience et de culte est affirmée. Même si la religion catholique reste encore religion d’État, une pratique tolérante permet aux cultes minoritaires de se développer librement. C’est la Constitution républicaine de 1891 qui organise la séparation des Églises et de l’État. Élaborée sous l’éclairage des idées du siècle des Lumières et de la philosophie positiviste d’Auguste Comte, elle n’est pas la conséquence d’un combat anticlérical. Une telle réalité n’a pas fait obstacle au maintien d’une profonde religiosité, souvent syncrétique, de la société brésilienne.
Sur le continent asiatique
La Turquie : entre laïcité et statut particulier de l'islam sunnite
En Turquie, la laïcité, composante essentielle de la politique conduite par Mustapha Kemal, apparaît comme un facteur de modernisation de la société, fortement marqué par le choix de références occidentales, au premier rang desquelles il convient de placer l’héritage de la Révolution française.
Entre 1922 et 1924, le sultanat et le califat sont successivement abolis et l’islam perd son statut de religion d’État. Dans le même temps, un certain nombre de mesures sont prises pour transformer les mentalités. L’obligation du mariage civil est introduite et se met en place un enseignement laïque, inspiré du modèle français. Les hommes doivent cesser de porter le fez et se raser. L’alphabet latin remplace l’alphabet arabe. En 1926, est instauré le calendrier grégorien.
La Constitution de 1924 proclame que « l’État turc est républicain, nationaliste, populiste, étatiste, laïque et révolutionnaire ». Elle institue la liberté de conscience et de culte. Ce caractère laïque de l’État s’est maintenu sans discontinuer.
La dernière constitution, œuvre des militaires en 1982, continue d’évoquer le caractère « démocratique, laïc et social » de la Turquie. Or, la laïcité turque ne se fonde ni sur un principe de séparation, ni sur une réelle neutralité de l’État. Elle repose sur l’existence d’un islam national sunnite, placé sous le contrôle d’organismes directement rattachés au premier ministre. Les imams sont salariés par l’État. Les autres religions ou les autres courants musulmans sont libres se développer mais sont, cependant, placés dans une situation de réelle infériorité. Incontestablement, la société turque reste marquée par une culture encore largement imprégnée par l’islam. Aussi le maintien de la laïcité s’est souvent fait au prix d’une restriction dans l’usage des libertés publiques qui n’est pas sans poser problème.
Une laïcité difficilement applicable au Proche-Orient
Il n’est guère nécessaire d’insister sur l’exemple que représente la tentative de laïcisation tentée par le parti Baas, fondé en Syrie en 1943 par Michel Aflak puis relayé en Irak par Saddam Hussein à partir de 1968. L’absence de toute perspective démocratique et de toute liberté individuelle suffirait à priver de sens la référence à la notion de laïcité.
De la même façon, la démarche entreprise en Tunisie par Bourguiba et prolongée par Ben Ali, en dépit de la perspective émancipatrice affichée à l’origine par le programme du Néo-Destour, ne peut justifier l’existence d’une laïcité tunisienne.
Laïcité au Japon : conséquence de la Seconde Guerre mondiale
Au lendemain de la capitulation du Japon, les Américains ont imposé la mise en place d’un système démocratique pluraliste. Sa conséquence principale fut de faire perdre à l’empereur l’essentiel des prérogatives qu’il tirait de son statut de divinité vivante. Dorénavant, il exerce les modestes prérogatives de représentation qui lui sont encore dévolues en vertu de la volonté du peuple « en qui réside le pouvoir souverain ». En vérité, il s’agit plus d’un abandon du fondement théocratique du pouvoir que d’une réelle laïcisation.
Inde : vers un affanchissement du système des castes et de l'hindouisme
Un sentiment de même nature s’impose à l’évocation de l’exemple indien. Au lendemain de sa difficile accession à l’indépendance, l’Inde a choisi de se doter d’un régime politique affranchi des contraintes de l’hindouisme et du système des castes. Il s’agissait essentiellement de réduire le pouvoir des brahmanes et de permettre à tous les citoyens d’accéder aux responsabilités publiques. En 1956, la constitution précisait qu’elle était fondée sur l’« égalité civile des citoyens sans distinction de sexe, de caste, de race, de religion, d’expression et de culte ». Louable programme dont la mise en œuvre s’est, en permanence, heurtée à la résistance de vieilles pesanteurs culturelles et qui, concrètement, n’a pu endiguer l’émergence d’un intégrisme hindouiste à prétention clairement politique.