« Ballade du temps présent » d'Eustache Deschamps

Athénal Sol te décrypte une ballade - avec 2 L ! -, un genre poétique du Moyen Âge.

« Ballade du temps présent » d'Eustache Deschamps

Ce poème d'Eustache Deschamps (vers 1346 - vers 1407) est librement interprété par le rappeur Lémofil.

Temps de douleur et de tentation
Age de pleurs, d’envie et de tourment
Temps d’impiété et de damnation
Age qui nous mène à la mort
Temps plein d’horreur, qui tout fait faussement
Age menteur plein d’orgueil et d’envie
Temps sans honneur et sans vraie jugement
Age en tristesse qui abrège la vie

Temps sans crainte, temps de perdition
Age tricheur où tout est déloyal
Temps en erreur près de sa perte
Age voleur, plein de rage et colère
Temps, vois ton coeur et viens te repentir
Age pêcheur, crie merci pour tes malheurs
Temps séducteur, réclame protection
Age en tristesse qui abrège la vie

Temps sans douceur et de malédiction
Age puant, qui contient tous les vices
Temps de folie, vois ta punition ;
Age de flatterie, sage est qui se repent ;
Temps, la fureur du haut juge descend ;
Age, au jugeur ton âme ne fuira point
Temps trompeur, hâte ton mouvement
Age en tristesse qui abrège la vie

Analyse du poème : le désespoir du poète face à son époque

Ecrite au XIV^e siècle par Eustache Deschamps, cette ballade se déroule en trois temps :

1. Dans la première strophe, le poète fait l’état des lieux de son époque. C’est un constat très négatif : tout n’est que douleur, horreur, tristesse. Les substantifs sont nombreux et ils posent le décor : douleur, pleurs, tourments, mort.
2. Dans la deuxième strophe, il invite son époque, autrement dit les humains de son époque, à reconnaître leurs péchés et à se repentir, et même à implorer la pitié de Dieu, « crie merci pour tes malheurs ». Ici, le mot « merci » signifie « pitié », « miséricorde ». Les sonorités sont plus rêches, plus rudes, comme on le voit au vers 13 avec une allitération en « t » et en « v » qui alternent, l’une après l’autre : Temps, Vois, Ton, Viens, Te, et qui donne au poète un ton sec. Il expulse son dégoût, sa colère.
3. Enfin, dans la dernière strophe, Deschamps annonce la colère divine, et l’impossibilité pour l’homme de racheter ses péchés : il sera puni. Le poème suit donc une certaine chronologie, tout en étant parsemé d’un champ lexical religieux, du début à la fin : tentation, impiété, damnation, jugement, perdition, repentir pêcheur, punition, jugeur.

► Avec les trois strophes, on a les trois moments célèbres de l’humanitéselon la religion chrétienne : le péché originel d'Adam et Eve « tentation », « damnation » ; puis le moment de la perdition, de la vie dans le péché ; et enfin le moment du châtiment divin, de l’enfer.

Ecriture : la ballade toute entière est construite sur une énumération qui fait alterner « Temps » et « Âge », qui sont d’ailleurs synonymes. La préposition « sans » apparaît une fois par strophe et nous indique que c’est un monde de la privation, un monde qui ne connaît pas l’honneur, la crainte et la douceur. Car sans honneur, sans crainte de Dieu, la vie douce est impossible. Au contraire du « sans », il y a aussi le déterminant composé « plein de ».

Conclusion : si ce siècle est vide de bonté, il est plein de vices : « plein d’horreur, plein d’orgueil et plein de rage et colère ». Mais alors que nous reste-t-il dans une époque de vices comme celle-ci ? Sans doute le plaisir d’écrire, de lire et d’être attentif à la musicalité d’une jolie ballade. L’art peut nous consoler.

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