Le racisme

Gaspard G est au lycée Montaigne de Paris. Il reçoit Lilian Thuram pour parler du racisme.

Lilian Thuram, c'est qui ?

Lilian Thuram est un ancien footballeur international, champion du monde, champion d’Europe avec l’équipe de France et président fondateur de la fondation Lilian Thuram : Éducation contre le racisme.

Qu’est-ce que le racisme ?

En 2024, les services de police et de gendarmerie ont enregistré 9 400 crimes et délits à caractère raciste selon les chiffres du ministère de l'Intérieur. Entre 2022 et 2023, ces infractions ont augmenté de 30 %. Le code pénal définit le racisme comme une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine ou leur appartenance à une ethnie, une nation ou une religion. Le racisme ne se limite pas aux insultes ou aux agressions. Il peut aussi prendre des formes indirectes, souvent plus difficiles à identifier, comme par exemple le refus d'embaucher un candidat en raison de son origine. On peut voir également des différences de traitement dans l'accès au logement ou à l'éducation. Ces pratiques peuvent être illégales au regard du droit français mais elles ne donnent lieu que rarement à des poursuites, faute de preuves ou de signalement. Lorsqu'elle se répète à grande échelle, on parle alors de discrimination systémique. D'après une étude relayée dans le journal Le Monde en 2021, les candidats dont l’identité suggère une origine maghrébine ont 31,5 % de chance en moins d’être contactés par des recruteurs que ceux qui ont un nom français. Dans le domaine scolaire, le ministère de l'Éducation nationale a recensé 3 600 actes à caractère raciste ou antisémite sur l'année scolaire 2023-2024.

Qu'est devenue la France « black, blanc, beur » ?

En 1998, la France gagne la coupe du Monde. On parle alors de « la France black, blanc, beur ». Tout le monde semble heureux de cette unité. Mais que voulaient dire ces mots à l’époque ? Cette phrase est d'abord un slogan, pour dire qu'ensemble on est plus forts. En vrai, c’est un peu triste d’attendre de gagner la coupe du Monde pour se rendre compte et accepter qu’il y a des Français de toutes les couleurs, de religions et d’origines différentes.

Différencier les joueurs par leur couleur de peau, c’est du racisme ?

Non. Pourquoi ce serait du racisme ? Il y a des personnes de couleurs différentes, de religions différentes. Nommer à travers la couleur, ce n’est pas du racisme.

La couleur de peau détermine-t-elle la façon de vivre dans l'espace public ?

Pendant très longtemps, on a voulu nous faire croire que la couleur de peau ou l’origine ne déterminait en rien ce qui allait se passer dans votre vie. Aujourd’hui, on sait très bien que c’est faux. Les jeunes savent qu’en fonction de la couleur peau, on ne vit pas l’espace public de la même façon. C’est la même chose si on est un homme ou une femme. Le racisme est une violence, un traumatisme, quelle que soit l’époque. Il faut en discuter tranquillement, sereinement.

Comment Lilian Thuram a expliqué le racisme à ses fils ?

Je leur ai expliqué tout simplement qu’ils allaient grandir en étant vus comme noirs. Je leur ai expliqué que leurs capacités intellectuelles allaient être mises en doute, car historiquement, le noir est un corps avant tout. Les capacités physiques de l'homme noir sont surévaluées. C’est dans l’imaginaire collectif. Il faut donc faire attention de ne pas se laisser enfermer dans la catégorie noire. Ne vous pensez jamais inférieurs aux autres, ni supérieurs. Ne jugez personne sur sa couleur de peau, sa sexualité ou son genre. Ne faites pas de hiérarchies et attention à développer une bonne estime de vous-mêmes.

Comment le racisme a-t-il influencé votre vie personnelle et professionnelle ?

Je suis né en Guadeloupe. Arrivé en région parisienne à l’âge de 9 ans. Je dis très souvent que je suis devenu noir à l’âge de 9 ans. Aux Antilles, je ne m’étais jamais vu comme noir. C’est dans cette classe de CM2 à Bois-Colombes que des enfants m’ont insulté de sale noir. C’est comme si je saignais de l’intérieur mais ça ne se voyait pas. Quand j’en ai parlé à ma mère, elle m’a répondu : « C'est comme ça, les gens sont racistes et ça ne va pas changer. » C’est une fatalité. Heureusement, j’ai lu des livres qui m’ont expliqué les origines du racisme. J’ai fini par comprendre que c’était lié à l’histoire et au conditionnement de la société qui fait que de génération en génération, des enfants blancs peuvent finir par se penser mieux et dire à un petit garçon qu’il est un sale noir. Lorsque vous êtes blanc, vous pensez être la norme. Le racisme, le sexisme et l’homophobie, c’est un conditionnement. Si on entend des choses négatives sur les noirs, les femmes, les homosexuels, on finit par intégrer que c’est juste. Il ne faut jamais oublier qu’on reçoit tous des messages qui orientent notre façon de penser. Il faut questionner tout ça parce que sinon, on finit par croire qu’on a raison.

Quelle est la pire insulte raciste que vous avez entendue dans votre vie ?

C’est quelque chose qui marque. J’étais déjà adulte, joueur de foot à Parme et j’étais déjà en difficulté émotionnelle car j’avais perdu quelqu’un de cher. On jouait contre l’Athletico Madrid et on s’échauffait autour du terrain. Et là, il y a un mec qui me dit en espagnol : « On n’aurait jamais du vous enlever les boulets des pieds ». En tant qu’Antillais, lorsqu’on me parle d’esclavage, on me parle d’histoire familiale. Mon grand-père est né 60 ans après l’abolition de l’esclavage. S’il n’y avait pas eu les grillages, je pense que je me serais battu, parce que ça m’a heurté, ça m’a blessé.

Que faire si on est victime de racisme ?

Il ne faut jamais rester sans rien dire, ni en tant que victime, ni en tant que témoin. L’égalité, la justice, ça ne se donne pas, ça se gagne. C’est à vous de choisir le monde que vous voulez.