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Orientation11:54Publié le 08/03/2024

Grand reporter : le métier décrypté par Dorothée Olliéric

Les métiers des médias

Le journalisme t'intéresse ? Tu te demandes si le métier de reporter de guerre est fait pour toi ? 🤔 Dorothée Olliéric, grand reporter à France Télévisions, répond très concrètement à plein de questions pour t'aider à y voir plus clair sur la réalité des missions sur le terrain.

Comment est née ta vocation de reporter de guerre ?

Depuis une trentaine d'années, je couvre les terrains de guerre pour France Télévisions. Ma mission ? Témoigner de ce qui s'y passe, le raconter.

Il faut aimer être là où l'histoire s'écrit car on se trouve aux premières loges d'un pays en conflit. Le grand reporter a vraiment un rôle de passeur, car si lui ne va pas sur les terrains de guerre, qui ira ?

Depuis toute petite, je suis portée par la passion du journalisme, l'envie de découvrir le monde, de repousser les frontières, de rencontrer des gens. A 19 ans, je suis partie à Santiago du Chili, au Chili, à l'époque de la dictature du général Pinochet. Je voulais voir comment les jeunes de mon âge vivaient, survivaient, sous ce régime difficile, où règnent la répression et la violence. C'était mon premier reportage, pas encore de guerre. Puis, quand j'ai commencé le journalisme, ma première expérience m'a poussée naturellement à aller là où c'est dangereux. Toujours habitée par l'envie de voir, de comprendre, de transmettre.

Dans les pays en guerre, tous les sentiments sont exacerbés : l'amitié, la solidarité, l'amour, la fraternité mais aussi la peur. Ce n'est pas pour l'adrénaline. On n'est pas des têtes brûlées mais les moments partagés quand on est sous les mêmes bombardements sont très forts, puissants.

Parmi les moments qui m'ont le plus bouleversé, il y a le siège de Sarajevo, en Bosnie, en 1995 où j'ai suivi, pour le magazine Envoyé spécial, le quotidien sous les bombes de jeunes civils ou militaires amputés. Ou encore le reportage sur la vente des petites filles afghanes qui a reçu le Prix Bayeux des lycéens et apprentis 2022. Deux petites filles, Sabera et Amina, devaient être vendues par leurs familles pour survivre. La diffusion de ce reportage a déclenché des propositions de dons, une action associative. Cette mobilisation a permis de sauver ces deux petites filles, l'une, d'un mariage forcé, l'autre, d'une adoption forcée.

Comment se passe le retour après un reportage sur un terrain de guerre ?

Le retour est toujours un moment difficile pour le reporter de guerre. Parfois on peut rester jusqu'à plusieurs semaines sur une zone de conflit. Quand on rentre en France, on a le cœur lourd. On pense à ceux qu'on a laissés. On se demande si on les reverra. On culpabilise de rentrer et d'avoir une vie facile avec l'eau, l'électricité, le confort... On entend ni sirènes, ni bombes...
Comme les militaires, les reporters de guerre peuvent souffrir de stress post-traumatique. Sur le terrain, on est en effet confronté à l'horreur, les cadavres, la peur de mourir aussi. Parfois, la mort passe pas loin de nous... Pour ceux qui en éprouvent le besoin, ce n'est pas obligatoire, les grands reporters ont la possibilité de consulter un psy. Personnnellement, c'est ma mère qui fait office de psy, et depuis ma première mission.

As-tu un rituel avant de partir en reportage ?

A chaque départ, depuis que mes enfants sont petits, je leur dis « Maman t'aime ». Je me dis que si je ne revenais pas, je veux que ce soit cette dernière image, ce dernier son de leur mère. C'est important pour moi. Quand on fait se métier, il faut le savoir : on peut ne jamais revenir. Ma fille, qui aujourd'hui est étudiante, me dit que j'ai de la chance car je fais un métier de passion. Elle ne m'en veut pas d'avoir pris autant de risques pendant toutes ces années.

Combien de temps peut-on partir en mission sur une année ?

Les grands reporters peuvent partir sur le terrain entre 4 et 6 mois par an, en fonction de l'actualité. Par exemple, pour couvrir la guerre en Ukraine, on part 2 à 3 fois, sur de longues périodes. Pour exercer ce métier, c'est important d'avoir en tête qu'on rate donc des anniversaires, des Noëls, etc.

Quelles sont les qualités à avoir pour faire du reportage de guerre ?

  • la curiosité
  • l'empathie. Il faut aimer les gens. Sur le terrain, il y a des moments où rien ne va fonctionner comme on veut (l'hébergement, les transports, le froid...), où on va avoir peur... Pour supporter ce quotidien hostile, violent, il faut savoir s'adapter, et avoir en soi cette espèce d'humanité pour ceux que l'on rencontre.
  • aimer raconter, non pas la guerre, mais tous ces sentiments puissants qu'on partage sur des terrains de guerre.

Comment devient-on reporter de guerre ?

Pour être reporter de guerre, il faut essayer d'intégrer une rédaction d'information. Par exemple, les chaînes d'info sont un très bon tremplin pour commencer, et commencer jeune. Ensuite, il faut aller sur ses premiers terrains de guerre. Aujourd'hui, aucun jeune journaliste n'est envoyé sur une zone de conflit sans formation. Il faut effectuer un stage obligatoire d'aguerissement aux terrains de guerre. On y apprend : 

  • les gestes qui sauvent
  • les types d'armes (obus, kalachnikovs, balles...) utilisées sur la ligne de front - et non pas leur maniement !
  • les réactions et pratiques à mettre en place face aux armes déployées. Que faire si on se retrouve dans un champ de mines ? Comment s'abriter en cas de tirs de snipers ?

Cette formation est souvent conçue par d'anciens militaires. Elle donne les bases de ce qui nous attend sur le terrain.

Comment savoir si on est fait pour être reporter de guerre ?

Pour cela, il faut y aller ! Et au premier bombardement, on le sait assez vite !! Je l'ai observé en Ukraine où il y avait beaucoup de jeunes journalistes. Lorsque les sirènes ont retenti à Kiev, que les premiers missiles ont été tirés sur des zones résidentielles, certains se sont dit « Je ne suis pas du tout fait pour ça ». Il n'y a aucune honte à avoir peur, il faut être honnête avec soi-même. Certains ont donc choisi de rentrer en France. Il faut garder en tête qu'il y a un temps d'adaptation.

Le fracas de la guerre est très impressionnant. Ce sont des détonations qui résonnent dans les tripes, dans le cœur, dans la tête. Et puis, il y a un moment où on peut dépasser ça. On trouve ses marques. Le sens du reportage et la nécessité de rester pour témoigner, raconter, reviennent en premier lieu.

Quelle est la place des femmes dans ce métier ?

Personnellement, être une femme ne m'a jamais posé de problèmes sur des terrains de guerre. J'ai bien eu quelques petites remarques machistes de temps en temps. Je me souviens d'une guerre civile en Afrique, j'avais alors 26 ou 27 ans. Je n'avais encore ni mari, ni enfants, et un combattant m'a dit : « Qu'est-ce que tu fais là ? Pourquoi tu n'es pas en train de faire la cuisine pour ton mari et de t'occuper de tes enfants ? ». Je lui ai répondu que je n'avais pas de mari, et que le jour où j'en aurai un... ce sera peut-être lui qui fera la cuisine !
Outre ces petites piques, je n'ai pas eu besoin de batailler pour me faire respecter. En revanche, il faut s'affirmer. Et garder en tête qu'une femme sur un terrain de guerre avec que des hommes, on ne joue pas la carte de la séduction. On n'est pas habillé comme on peut l'être en France. Comme toutes les journalistes qui se rendent dans un pays musulman comme l'Afghanistan, je porte le voile. Ne pas en mettre serait une provocation.

Pour notre sécurité, il faut se fondre dans le décor. Femme ou homme, si on respecte ces règles-là, il n'y a pas de problèmes. Les filles, allez-y ! Nous avons notre place sur les zones de conflit, et depuis longtemps 💪.

Préparation d'une mission et rôle du fixeur

Avant de partir en reportage, il faut assurer toute la partie logistique (louer une voiture, éventuellement trouver un chauffeur...). Surtout, dans ces missions, le plus important est de trouver le fixeur. Le fixeur est un interprète local du pays concerné qui tient plusieurs rôles :

  • trouver et établir les contacts sur place avec la population, les acteurs du conflit
  • être garant de la sécurité de l'équipe

► C'est comme un super producer.

Enfin, bien sûr, la prépartion du reportage implique de chercher des angles aux sujets d'information que l'on veut traiter. Par exemple, avant de partir en Ukraine, je peux proposer une dizaine de reportages à la rédaction en chef qui choisit. J'ai notament proposé d'embarquer sur un navire de guerre ukrainien, en mer Noire. Concrètemet, cette proposition implique tout un processus d'autorisations dont va se charger la fixeuse, en Ukraine, avec nos identités, nos cartes de presse locales.

Est-ce que l’arrivée des réseaux sociaux a eu un impact sur le métier ?

En 2017, en Irak, j'ai été très suprise, interdite par une expérience assez surréaliste.... Je couvrais la bataille de Mossoul., et j'ai vu sur la ligne de front des jeunes, ni journalistes ni photographes, simplement des étudiants qui voulaient être aux premières loges de la guerre et la filmaient en direct. Il y avait le mélange du selfie, du Facebook Live... avec les militaires qui tiraient des mortiers. Ces jeunes commentaient ça en direct, avec des milliers de cœurs... On n'avait jamais vu ça ! Je me suis dit : « Est-ce que la guerre peut se filmer en direct avec des likes sur Facebook ou bien d'autres réseaux sociaux et applications mobiles ? » Ces situations me mettent mal à l'aise... C'est un peu voler le rôle du journaliste et le risque de raconter n'importe quoi.

Et l'impact de l’IA sur le reportage de guerre ?

Dans le domaine du journalisme, l'impact de l'intelligence artificielle m'effraie un peu. On a l'impression que cette technologie est un peu incontrôlable : elle va très vite et peut aller très loin. Or, sur un terrain de guerre, je pense que le regard, la distance et l'expérience du journaliste me semblent irremplaçables. Pourquoi ? Il y la question des sources, des vérifications des faits, la désinformation. L'IA se base sur des écrits, sur des reportages déjà publiés. On ne sait pas forcément par qui. Ils ne sont peut-être pas objectifs. Pour moi, dans un pays en guerre, il faut vraiment que l'humain soit dans la boucle du traitement de l'info... et pas juste l'IA !

Réalisateur : Aline Guyard, Héla Khamarou, Sylvie Tournier

Producteur : France Télévisions / Lumni

Année de copyright : 2024

Année de production : 2024

Publié le 08/03/24

Modifié le 08/03/24

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