Si, à partir de 1855, Baudelaire publie des poèmes en prose dans la presse, le recueil, pour lequel les éditeurs retiendront soit le titre de Petits Poëmes en prose, soit Le Spleen de Paris, ne paraît, inachevé (50 poèmes au lieu des 100 prévus), qu’après sa mort.

Le Spleen de Paris, édition de 1944, éd. Du vieux colombier
Baudelaire considérait ces poèmes, qui en reprennent les grands thèmes, comme un « pendant » des Fleurs du Mal ; neuf textes sont même des doublets explicites de poèmes en vers. Mais, contrairement aux Fleurs du Mal, Le Spleen de Paris n’est pas structuré, chaque texte constitue un tout autonome, discontinuité qui répond à la volonté de traduire les multiples suggestions de la vie urbaine, les rencontres fortuites offertes à un promeneur parisien. Ayant le sentiment d’avoir atteint, avec Les Fleurs du Mal, les limites de la poésie traditionnelle, Baudelaire cherche une langue nouvelle, une « prose poétique, musicale, sans rythme et sans rime » qui s’adapte aux mouvements de l’âme, aux « soubresauts de la conscience ». Poésie de la modernité qui ne doit plus rien à la tradition, Le Spleen de Paris privilégie « le transitoire, le fugitif, le contingent », cette moitié de l’art dont l’autre moitié est, selon Baudelaire, constituée d’un élément éternel et invariable.
Nombre d’écrivains, dont Alfred de Musset et Théophile Gautier, s’étaient intéressés aux effets des drogues. Contrairement à ses devanciers, Baudelaire refuse le pittoresque et l’anecdotique pour traiter le sujet en moraliste, métaphysicien et poète ; il voit dans la consommation de hachisch ou d’opium une quête d’infini. Mais si les drogues procurent visions et amplification des sensations, elles compromettent la volonté, c’est-à-dire, pour le poète, l’aptitude à traduire des visions qu’il devrait obtenir par lui-même. Les Paradis artificiels condamnent donc l’usage des drogues tout en exaltant les « fêtes du cerveau » qu’elles procurent et livrent une réflexion approfondie sur l’art et la poésie. La beauté de la langue permet aussi de lire cet essai comme un long et somptueux poème en prose. Précédés d’une étude de 1851 sur le vin et le hachisch, Les Paradis artificiels sont composés de deux sections : « Le Poème du hachisch » et « Un mangeur d’opium » où Baudelaire a partiellement traduit, adapté et commenté Les Confessions d’un mangeur d’opium anglais de Thomas De Quincey (1785-1859). Si Baudelaire n’a jamais été un véritable consommateur de hachisch, l’opium, sous forme de gouttes de laudanum, lui a été prescrit comme antalgique ; l’accoutumance et l’augmentation des doses en ont fait une véritable drogue.

Vue de Paris à partir de Notre-Dame, photo © Marisa Ficorella