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Les nouveaux habits des antisémites
La fabrique du mensonge« Qui ? »... Derrière cette question à priori anodine, se cache une réponse loin d’être neutre : « La communauté que vous connaissez bien ». Il s’agit de ceux qui sont les boucs émissaires historiques : les Juifs. Les crises sont des périodes favorables à la résurgence des profils antisémites et à la théorie du « complot juif », vieille de plus de 600 ans. Armés d’un discours de haine profilé pour les plateformes, les antisémites font de plus en plus d’adeptes, sans complexes, au cœur de la société française.
La crise sanitaire, un catalyseur du complot mondial
- 17 mars 2020 : déclaration de l’état de guerre suivi d’un confinement en France. Les morts de la Covid-19 s’accumulent. L’inquiétude grandit. Dans cette période d’incertitude, la vidéo d’un gilet jaune commence à circuler sur les réseaux sociaux contre la situation sanitaire et cible Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé.
- Et les réseaux sociaux s'enflamment et reprennent les idées du « complot juif » : le nez, le pouvoir, l'argent : les vieux clichés ressortent avec des messages antisémites explicites, des caricatures et de « l’empoisonnement des puits » (croyance du Moyen Âge, que les Juifs voulaient nuire aux chrétiens au moment de la peste noire en empoisonnant les puits).
- Fin mars 2020 : les théories conspirationnistes déferlent sur les réseaux, un terme réapparaît : « Nouvel ordre mondial ». Ce mot fourre-tout politique, évoque un projet de gouvernement mondial, pour les sujets planétaires, sans volonté dictatoriale. Mais pour les Covido-septiques, la pandémie devient un prétexte pour asservir les peuples : on évoque clairement le texte des Protocoles des sages de Sion et son « plan de conquête et de domination planétaire ».
D'où viennent les Protocoles des sages de Sion ?
Ecrit en 1903, c’est un récit inventé dans la Russie révolutionnaire du tsar Nicolas II pour accabler les Juifs. Les Protocoles seraient le compte-rendu d’une réunion secrète des chefs religieux pour dominer le monde. Les services secrets s’en servent alors pour détourner la violence populaire contre les Juifs, au lieu du tsar. Traduit en plusieurs langues, le faux document devient une référence antisémite au XIXe siècle, à un moment où l’imagerie juive est cristallisée autour de l’affaire Dreyfus. Depuis, le texte est régulièrement cité pour justifier les crises : de Mein Kampf d’Hitler, aux attentats du 11 septembre 2001, en 2008 avec la crise financière américaine et plus récemment en 2020 avec la pandémie.
La justification de la pandémie par l’antisystème
A la faveur du confinement, des discours de haine de la fachosphère et des listes de noms de Juifs, parfois avec des photos, comme dans les années 1930, circulent encore plus librement sur la Toile. Ce discours, c’est aussi le jeu des plateformes et des réseaux sociaux : si en France, la liberté d’expression à ses limites légales, les plateformes obéissent au principe américain du free speech, on peut tout dire. Relayées par des influenceurs complotistes, de nouvelles personnalités gagnent en visibilité et parlent de solutions alternatives sur les médias de ré-information. En retour, ils affichent sans complexes leurs liens avec des médias complotistes et antisémites.
Novembre 2020 : nouvel élan complotiste
- Apparition du vaccin. La vaccination est détournée en « contrôle de la population pour s'enrichir », dénonciation des Big Pharma, les laboratoires dirigés par une élite communautariste juive. Le nom de Rothschild circule, y compris sur TikTok. La plateforme chinoise du groupe ByteDance, relaie le contenu similaire, y compris les contenus haineux, comme les détournements d’images, les parodies et mises en scène contre les Juifs et la Shoah.
- Création d’un pass sanitaire. Dans la continuité du mécontentement des gilets jaunes, l’annonce du pass sanitaire est considérée comme une atteinte à la liberté de tous. Les anti-pass agrègent des personnalités différentes, rapidement la dictature sanitaire devient le sujet du discours. A la mi-juillet, l’iconographie nazie s'affiche, les anti-pass deviennent des « résistants », le discours antisémite prend une nouvelle forme.
- Utilisation de mots codés. Pour rester dans le cadre de la loi, les antisémites emploient un langage codé pour se protéger, des mots neutres compris par la communauté à laquelle ils s’adressent. On parle alors de « dog whistle » (issu du sifflet à ultra-son utilisé pour dresser un chien). « Qui ? » et d'autres mots codés sont utilisés dans les médias, la rue et sur les réseaux sociaux, échappant ainsi à la modération : « Khazar », « élite mondialiste », « communauté organisée ».
- 17 juillet 2021 : les étoiles jaunes resurgissent. Cette banalisation de la persécution des Juifs lors de la Seconde Guerre mondiale s'affiche partout chez les anti-pass. Elle n’a pas la même origine que la rafle du Vel’Hiv de 1942. Les actes antisémites se répètent, suivis même d'appels aux meurtres. C’est un signal sur l’état d’une France qui va mal. Depuis la pandémie, plus d’un Français sur quatre pense qu’il existe un réseau juif mondial, qui influence la politique et l’économie. La théorie du complot continue.
► Focus sur une spirale de la haine : témoignage de Clément
- Confiance en une personne connue. On s’informe via le discours de l’influenceur et on évolue vers des référents communs, on est en contact avec un discours de plus en plus radical.
- Création d’une bulle de désinformation : on est abreuvé d’un discours filtré et automatique, haineux et antisémite, mais on a la sensation de faire partie d’une élite qui a découvert la Vérité.
- Bascule sur les théories de plus en plus extrêmes, passant d’un contenu à un autre, sans prendre conscience de la radicalisation du discours. Convaincu, on commence à participer à la création de contenu.
- Un déclic personnel et émotionnel : ça va trop loin. Le texte, le dessin ou la vidéo de trop, conduit à une remise en question, suivi d’une lente reconstruction de l’amour-propre. Cette période, souvent associée à la honte, on essaye de l’oublier rapidement.
Réalisateur : Arnaud Lievin et Elsa Guiol
Auteur : Félix Suffert-Lopez, Arnaud Lievin et Elsa Guiol
Producteur : Together et TV Presse, avec la participation de France Télévisions
Publié le 05/08/22
Modifié le 13/03/23
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