Pourquoi Rodin ne finit-il pas ses œuvres ?

Certaines sculptures de Rodin semblent ne pas avoir été terminées. Un état inachevé intentionnel dont Adèle Van Reeth nous livre les explications.

Rodin : l'art de ne pas finir

Dans les œuvres de Rodin, les corps semblent amputés de certains membres ; dans d’autres cas, le bloc de pierre prend plus de place que la sculpture elle-même, comme si l’artiste avait changé d’avis en cours de réalisation. Pour répondre aux critiques concernant La Méditation, ce corps de femme sans bras et aux jambes abîmées, Rodin est catégorique : « c’est à dessein, croyez-le, que j’ai laissé ma statue dans cet état. Elle représente la méditation. Voilà pourquoi elle n’a ni bras pour agir, ni jambes pour marcher. N’avez-vous point noté que la réflexion, quand elle est poussée très loin, (…) conseille l’inertie ? ». Ce « non-fini », ou l’art de ne pas finir, est une technique artistique mise au point par Michel-Ange, que Vasari avait baptisée le « non finito ». Rodin décide de reprendre à son compte ce style et en fait un principe de création.

Entre la pierre et la chair

Dans La Pensée, le visage de Camille Claudel a, en guise de corps, un bloc de marbre. La muse, élève et amante de Rodin, semble ainsi enfermée dans la matière, tout comme La Convalescente dont la fragilité contraste avec la solidité de la pierre dont elle peine à s’extraire. Et si cet état de transition entre le non-vivant et le vivant était précisément ce qui nous bouleversait le plus ? Ni tout à fait pierre, ni tout à fait humaine, ces sculptures « non finies » saisissent l’état intermédiaire que Rodin cherche à recréer. « Comme s’il était pénible à l’être qui sort tout formé d’un bloc de marbre de quitter l’inconscience de la matière pour entrer dans la conscience de la vie », écrit-il dans son journal en 1888.