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Histoire05:28Publié le 13/07/2022

audio - Lettre de Léon Kacenelenbogen au maréchal Pétain

Les Suppliques

En 1942, Léon Kacenelenbogen, a 20 ans quand il crie son envie de vivre au maréchal Pétain. Il écrit une première supplique depuis le camp de Douadic (Indre) où il est enfermé, puis un exemplaire presque identitique le lendemain depuis le camp de Nexon (Haute-Vienne).

Suppliques de Léon Kacenelenbogen

« Centre d'accueil, camp de Douadic, le 27 août 1942 

Monsieur le maréchal Pétain, 

En apprenant qu’un miracle est arrivé à Lourdes, j'ai pris mon courage à deux mains, pour vous écrire ma requête, avec l'espérance que Dieu en produirait encore un en ma faveur, en vous la faisant lire avec indulgence. Certes, quand je songe à votre personnalité, à votre œuvre sublime, je vois quel lamentable atome je suis et combien peu ma disparition influencera le monde. Fait-on attention aux fourmis qu’ on écrase en marchant ? Et une fourmi vaut au moins autant que moi. Je ne vous demande pas grand-chose, je suis condamné à mort et je veux vivre, je vous demande ce que Dieu m'a donné : la vie. Sachez, en toute franchise, que je suis un sinistre individu, très peu recommandable. J'ai commis l’horrible crime de naître en Pologne, et, avec un cynisme sans pareil, mon père m’a choisi la religion juive. Oui, Monsieur le Maréchal, je suis un vulgaire juif, un sale youpin, un représentant de la race damnée et condamnée ; le comble de crapulerie. Mais, j'ai vingt ans et je veux vivre ! C'est pourquoi je vous demande, humblement, avec le droit sacré d’une créature de Dieu : laissez-moi vivre ! Faites-moi la grâce de m'envoyer travailler dans les mines de charbon, condamnez-moi aux travaux forcés, permettez-moi de servir la France dans la légion étrangère. 

Si tout ceci est impossible, fusillez-moi ; je n'ai pas peur de mourir, mais permettez que je meure au moins en homme, et pas en chien, car, si on m'envoye chez les allemands, ce sera la lente agonie, la mort par torture, dans un trou obscur. Dieu veuille que cette lettre tombe dans vos mains, car vous, le grand soldat, l'ami du Maréchal Foch, vous me comprendrez et me sauverez, ou me permettrez de mourir comme un être humain. 

Maintenant permettez que je vous donne le nom du criminel : Je m'appelle Léon Kacenelenboge, né à Varsovie (Pologne) le 3 janvier 1921. Venant de Bruxelles (Belgique) j'ai reçu à la préfecture de Châteauroux, le 17 juillet 1942, un permis de séjour, pour Argenton. Pour le moment je suis interné dans le camp de Douadic, Indre, dans la baraque n° 4 (en attendant ma déportation vers l'enfer, je crains). 

Sachez-donc, Mr. le Maréchal, qu'un être humain, si abject soit-il dans l'opinion européenne, n'attend plus rien, à part de vous. Vous connaissant par votre œuvre, j'ose espérer votre bienveillante indulgence..

Votre serviteur qui espère, et qui a la conscience coupable de vous faire perdre un temps inestimable,

Léon Kacenelenbogen 

P.S. Monsieur le secrétaire ou n’importe quel autre intermédiaire, au nom de tout ce qui vous est sacré, ayez pitié d’un condamné et faites parvenir cette missive dans les mains du destinataire. Merci d’avance ! »

 

« Camp de Nexon, le 28 août 1942 

Monsieur le Maréchal,

Veuillez avoir l’indulgence de gaspiller quelques de vos précieux instants à lire les lamentations d’un condamné à mort. Il y a quelques jours un miracle s’est produit à Lourdes, j’espère qu’un autre miracle se produira en ma faveur par votre intervention toute-puissante. Certes, entre vous et moi il y a la distance qui sépare le génie, constructeur des royaumes et la fourmi infime qu’on écrase sans la voir en se promenant. 

J’aime la France comme ma seconde patrie, ma patrie spirituelle, malheureusement, bien que j’ai fait mon possible pour m’engager dans l’armée polonaise en France, j’ai été déclaré inapte au service, et comme je manque des documents que j’ai laissé en Belgique, d’où je viens d’arriver il y a trois mois, je crains d’être envoyé en Pologne, ce qui équivaut à la mort cruelle dans une agonie lente au fond de quelque trou obscur. 

C’est pourquoi je vous demande, à vous personnellement, ma grâce. Envoyez-moi aux travaux forcés dans les mines de charbon, ou bien permettez-moi de servir la France dans la légion étrangère, à la rigueur faites-moi fusiller, mais permettez-moi de mourir en homme d’honneur. 

Le grand soldat, l’ami du maréchal Foch, le père de la France ne saurait me refuser ceci. 

Mon nom est Kacenelenbogen Leib, né 3 janvier à Varsovie, et interné dans la baraque 11 du camp de Nexon. 

Le crime que j’ai commis c’est d’être né de religion israélite. 

Mais d’habitude, le bon Dieu ne fait pas d’erreur, et s’il m’a donné la vie, c’est que j’ai le droit de vivre. Donnez-moi la vie et vous serez béni par une famille de plus. 

En m’excusant du dérangement que je vous cause et dans l’espoir unique de votre infinie bonté, je signe humblement 

Lejb Kacenelenbogen

N.B. Mr. le secrétaire privé ou n’importe quel autre intermédiaire, soyez charitable et sauvez un innocent en remettant cette missive au destinataire. Merci de tout cœur. »

► Découvrez également en écoute les autres suppliques.

Producteur : La Générale de Production

Année de copyright : 2022

Année de production : 2022

Publié le 13/07/22

Modifié le 13/06/23

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